TARENTELLE D' AUTOMNE 

Vois-tu près des cohortes bovines 
Choir les feuilles dans les ravines, 
Dans les ravines ? 

Vois-tu sur le coteau des années 
Choir mes illusions fanées, 
Toutes fanées ? 

Avec quelles rageuses prestesses 
Court la bise de nos tristesse, 
De mes tristesse ? 

Vois-tu, près des cohortes bovines, 
Choir les feuilles dans les ravines 
Dans les ravines ? 

Ma sérénade d'octobre enfle une 
Funéraire voix à la lune, 
Au clair de lune. 

Avec quelles rageuses prestesses 
Court la bise de nos tristesses, 
De mes tristesses ! 

Le doguet bondit dans la vallée. 
Allons-nous-en par cette allée, 
La morne allée ! 

Ma sérénade d'octobre enfle une 
Funéraire voix à la lune, 
Au clair de lune. 

On dirait que chaque arbre divorce 
Avec sa feuille et son écorce, 
Sa vieille écorce. 

Ah ! vois sur la pente des années 
Choir mes illusions fanées, 
Toutes fanées ! 




PRESQUE BERGER 

Les Brises ont brui comme des litanies 
Et la flûte s'exile en molles aphonies. 

Les grands boeufs sont rentrés. Ils meuglent dans l'étable 
Et la soupe qui fume a réjoui la table. 

Fais ta prière, ô Pan ! Allons au lit, mioche, 
Que les bras travailleurs se calment de la pioche. 

Le clair de lune ondoie aux horizons de soie : 
Ô sommeil ! donnez-moi votre baiser de joie. 

Tout est fermé. C'est nuit. Silence... Le chien jappe. 
Je me couche. Pourtant le Songe à mon coeur frappe. 

Oui, c'est délicieux, cela, d'être ainsi libre 
Et de vivre en berger presque. Un souvenir vibre 

En moi... Là-bas, au temps de l'enfance, ma vie 
Coulait ainsi, loin des sentiers, blanche et ravie ! 




JARDIN SENTIMENTAL 

Là, nous nous attardions aux nocturnes tombées, 
Cependant qu'alentours un vol de scarabées 
Nous éblouissait d'or sous les lueurs plombées. 

De grands chevaux de pourpre erraient, sanguinolents, 
Par les célestes turfs, et je tenais, tremblants, 
Tes doigts entre mes mains, comme un nid d'oiseaux blancs. 

Or, tous deux, souriant à l'étoile du soir, 
Nous sentions se lever des lumières d'espoir 
En notre âme fermée ainsi qu'un donjon noir. 

Le vieux perron croulant parmi l'effroi des lierres, 
Nous parlait des autans qui chantaient dans les pierres 
De la vieille demeure aux grilles familières. 

Puis l'Angélus, devers les chapelles prochaines, 
Tintait d'une voix grêle, et, sans rompre les chaînes, 
Nous allions dans la Nuit qui priait sous les chênes. 

Foulant les touffes d'herbes où le cri-cri se perd, 
Invisibles, au loin, dans un grand vaisseau vert, 
Nous rêvions de monter aux astres de Vesper. 




LES PETITS OISEAUX 

Puisque Rusbrock m'enseigne 
À moi, dont le coeur saigne 
Sur tout ce qui se baigne 
Dans le malheur, 
À vous aimer, j'élève 
Ma pensée à ce rêve : 
De vous faire une grève 
Avec mon coeur. 

Là donc, oiseaux sauvages, 
Contre tous les ravages, 
Vous aurez vos rivages 
Et vos abris : 
Colombes, hirondelles, 
Entre mes mains fidèles, 
Oiseaux aux clairs coups d'ailes, 
Ô colibris ! 

Sûrs vous pourrez y vivre 
Sans peur des soirs de givre, 
Où sous l'astre de cuivre, 
Morne flambeau ! 
Souventes fois, cortège 
Qu'un vent trop dur assiège, 
Vous trouvez sous la neige 
Votre tombeau. 

Protégés sans relâche, 
Ainsi contre un plomb lâche, 
Quand je clorai ma tâche, 
Membres raidis ; 
Vous, par l'immense voûte 
Me guiderez sans doute, 
Connaissant mieux la route 
Du Paradis ! 




VIOLONS DE VILLANELLE 

Sous le clair de lune au frais du vallon, 
Beaux gars à chefs bruns, belles à chef blond, 
Au son du hautbois ou du violon 
Dansez la villanelle. 

La lande est noyée en des parfums bons. 
Attisez la joie au feu des charbons ; 
Allez-y gaiement, allez-y par bonds, 
Dansez la villanelle. 

Sur un banc de chêne ils sont là, les vieux, 
Vous suivant avec des pleurs dans les yeux, 
Lorsqu'en les frôlant vous passez joyeux... 
Dansez la villanelle. 

Allez-y gaiement ! que l'orbe d'argent 
Croise sur vos fronts son reflet changeant ; 
Bien avant dans la nuit, à la Saint-Jean 
Dansez la villanelle. 




BERGÈRE 

Vous que j'aimai sous les grands houx, 
Aux soirs de bohème champêtre, 
Bergère, à la mode champêtre, 
De ces soirs vous souvenez-vous ? 
Vous étiez l'astre à ma fenêtre 
Et l'étoile d'or dans les houx. 

Aux soirs de bohème champêtre 
Vous que j'aimai sous les grands houx, 
Bergère, à la mode champêtre, 
Où donc maintenant êtes-vous ? 
- Vous êtes l'ombre à ma fenêtre 
Et la tristesse dans les houx. 




RÊVE DE WATTEAU 

Quand les pastours, aux soirs des crépuscules roux 
Menant leurs grands boucs noirs aux râles d'or des flûtes, 
Vers le hameau natal, de par delà les buttes, 
S'en revenaient, le long des champs piqués de houx ; 

Bohèmes écoliers, âmes vierges de luttes, 
Pleines de blanc naguère et de jours sans courroux, 
En rupture d'étude, aux bois jonchés de brous 
Nous allions, gouailleurs, prêtant l'oreille aux chutes 

Des ruisseaux, dans le val que longeait en jappant 
Le petit chien berger des calmes fils de Pan 
Dont le pipeau qui pleure appelle, tout au loin. 

Puis, las, nous nous couchions, frissonnants jusqu'aux moelles, 
Et parfois, radieux, dans nos palais de foin, 
Nous déjeunions d'aurore et nous soupions d'étoiles... 




NUIT D' ÉTÉ 

Le violon, d'un chant très profond de tristesse, 
Remplit la douce nuit, se mêle au son des cors ; 
Les Sylphes vont pleurant comme une âme en détresse 
Et les coeurs des grands ifs ont des plaintes de morts. 

Le souffle du Veillant anime chaque feuille, 
Le rameau se balance en un rythme câlin, 
Les oiseau sont rêveurs, et sous l'oeil opalin 
De la lune d'été, ma douleur se recueille. 

Au concert susurré que font sous la ramure 
Les grillons, ces lutins en quête de sabbat, 
Soudain a résonné toute, en mon coeur qui bat, 

La grande majesté de la Nuit qui murmure 
Dans les cieux alanguis un ramage lointain, 
Prolongé jusqu'à l'aube humide du Matin