|
L’armoire des jours (3 extraits)
L'ARCHITECTE
Un enfant de six ans et qui joue sur la
plage. Un peintre arrive qui tombe en
arrêt devant le château de sable que
l'enfant est à terminer.
- Qu'est-ce que tu fais, toi?
- Je suis peintre.
- Pourrais-tu peindre mon château?
- Oui. Volontiers.
Et le peintre installe son chevalet et peint le château.
Sitôt le
château terminé, l'enfant lui dit:
- Maintenant, il ne peut plus se défaire.
Et le voici qui va plus loin en commencer
un autre...
(page 34)
LA LESSIVE
Nos chemises pliées tout en haut de
l'armoire, qui attendaient parfois des
jours et des semaines. Et nos mains se
hâtaient vers les odeurs de propre
qu'elles avaient gardées de leur passé de
voile... dans le vent du suroît qui
secouait la corde tendue de la maison à
la bâtisse à bois...J'y songe quand
j'écris. Quand je plie mon poème. Et
que je viens l'étendre sous le vent de
vos yeux
(page 29)
CORDER LE BOIS
Ces trois derniers jours, j'ai cordé du
bois. Le bois du verglas. Pensé à mon père.
Qui me l'a montré. On ne fait pas ça
n'importe comment. On fait adonner les
noeuds et la taille et le beau côté que la scie
a fait. Et si un morceau n'est pas à sa place,
on le met ailleurs. C'est du temps: corder.
Des jours et des heures à se voir agir
comme qui mettrait du temps dans l'espace
où c'était prévu par petits morceaux. Des
heures... des jours le même silence et les
mêmes gestes cent fois répétés et repris
encore pour corder en soi un peu du décor.
Mais je suis content, j'ai cordé dix cordes:
du frêne, du pin, du saule et de l'orme, du
faux peuplier, du bouleau, du cèdre, mais
pas de sapin, pas gros d'épinette; le grand
sécateur les a épargnés.
Ma corde finie, je l'ai enlignée, l'oeil
assez heureux. J'entendais mon
père: «T'auras gardé ça. C'est toujours
autant...»
Et moi lui répondre: «Oh c'est
important! Bien plus important que vous
pourriez croire. Le bois bien cordé, il sèche
plus vite, et ça paraît mieux! Ça résiste au
vent!»
J'ai gardé tout ça et plus en mémoire,
comme on plie au fond d'une vieille
armoire les plus beaux habits.
Je l'ouvre souvent.
(pages 214-215)
--------------------------------------------------------
Entre musique et Poésie
Entre musique et poésie
Entre prescience et nostalgie
Entre espoir et mélancolie
Entre la corde et l’arcanson
Entre le cri et la parole
Entre le ruisseau et l’école
Est née… un jour; la Sage-Folle
Qu’on appelle encor : La chanson
Est-ce in cri de joie ou de guerre?
Est-ce un enfant ou bien sa mère
Est-ce l’Amour qui sur terre
Inventa le premier refrain?
Comptine, berceuse… ou romance?
Chaque siècle s’y recommence.
La chanson c’est la voix immense
Qui parle au nom du cœur humain.
Avec trois mots d’amour en tête
Voyez la moindre chansonnette
Qui fait le tour de la planète
Revient et dit : C’est votre tour !
À la complainte, à la rengaine
Qui se sont donné tant de peine
Pour entrer dans la grande chaîne
… Puis… en sortir, le même jour.
Avec trois accords de guitare
Deux amants qu’un destin sépare
Une nuit de Lune… une gare
La chanson vous fait un roman !
Et vous fait vivre ses alarmes
Et vous met dans les mains des armes
Et vous emplit les yeux de larmes
Et le cœur de grands sentiments…
Elle a sauvé plus d’un navire…
Elle a renversé des empires…
Elle a su pourfendre ou séduire
Les plus faibles et les plus forts.
Sa noblesse va sans les lettres
Elle n’a pas trouvé son maître.
Elle a nommé, montré les traîtres
Cela pourra servir encor !
C’est la fille aînée du langage
Qui part avec pour bagage
Ses mots qui font dans les cordages :
Do ré mi fa sol la si… do !
Quand on la voit flotter au faîte
Des mâts, des bras et des poètes
C’est que la lumière s’est faite…
C’est qu’elle a le vent dans le dos
Et qu’on peut commencer la Fête!…
Je prendrai dans ma main gauche
Une poignée de mer
Et dans ma main droite
Une poignée de terre,
Puis je joindrai mes deux mains
Comme pour une prière
Et de cette poignée de boue
Je lancerai dans le ciel
Une planète nouvelle
Vêtue de quatre saisons
Et pourvue de gravité
Pour retenir la maison
Que j'y rêve d'habiter.
Une ville. Un réverbère.
Un lac. Un poisson rouge.
Un arbre et à peine
Un oiseau.
Car une telle planète
Ne tournera que le temps
De donner à l'Univers
La pesanteur d'un instant.
(Balises, 1964)
Autant vous dire la vérité
J'ai pas grandi d'un sacré pouce
En seulement le diable me pousse
Quand je m'arrête de turluter
Je revire un bordi-bordagne
Je mets la ville dans la campagne
Puis Ti-Jean prend son violon
Que la Province trousse son jupon
Que la Province trousse son jupon
Le cul sur le bord du Cap Diamant
Les pieds dans l'eau du Saint-Laurent
J'ai jasé un petit bout de temps
Avec le grand Jos Monferrand
Mon pays
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison
Et je m'en vais être fidèle
À sa manière, à son modèle
La chambre d'amis sera telle
Qu'on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d'elle
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon refrain ce n'est pas un refrain, c'est rafale
Ma maison ce n'est pas ma maison, c'est froidure
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
À tous les hommes de la terre
Ma maison c'est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
À préparer le feu, la place
Pour les humains de l'horizon
Et les humains sont de ma race
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'envers
D'un pays qui n'était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n'est pas une chanson, c'est ma vie
C'est pour toi que je veux posséder mes hivers
Les gens de mon pays
Les gens de mon pays
Ce sont gens de paroles
Et gens de causerie
Qui parlent pour s'entendre
Ils parlent pour parler
Il faut les écouter
C'est parfois vérité
Et c'est parfois mensonge
Mais la plupart du temps
C'est le bonheur qui dit
Comme il faudrait de temps
Pour saisir le bonheur
À travers la misère
Émmaillée au plaisir
Tant d'en rêver tout haut
Que d'en parler à l'aise
Parlant de mon pays
Je vous entends parler
Et j'en ai danse aux pieds
Et musique aux oreilles
Et du loin au plus loin
De ce neigeux désert
Où vous vous entêtez
À jeter vos villages
Je vous répèterai
Vos parlers et vos dires
Vos propos et parlures
Jusqu'à perdre mon nom
Ô voix tant écoutées
Pour qu'il ne reste plus
De moi-même qu'un peu
De votre écho sonore
Je vous entends jaser
Sur les perrons des portes
Et de chaque côté
Des cléons des clôtures
Je vous entends chanter
Dans la demi-saison
Votre trop court été
Et notre hiver si longue
Je vous entends rêver
Dans les soirs de doux temps
Il est question de vents
De vente et de gréments
De labours à finir
D'espoir et de récolte
D'amour et du voisin
Qui va marier sa fille
Voix noires voix durcies
D'écorce et de cordages
Voix des pays plain-chant
Et voix des amoureux
Douces voix attendries
Des amours du village
Voix des beaux airs anciens
Dont on s'ennuie en ville
Piaillerie d'écoles
Et palabres et sparages
Magasin général
Et restaurant du coin
Les ponts, les quais, les gares
Tous vos cris maritimes
Atteignent ma fenêtre
Et m'arrachent l'oreille
Est-ce vous que j'appelle
Ou vous qui m'appelez
Langage de mon père
Et patois dix-septième
Vous me faites voyage
Mal et mélancolie
Vous me faites plaisir
Et sagesse et folie
Il n'est coin de la terre
Où je ne vous entende
Il n'est coin de ma vie
À l'abri de vos bruits
Il n'est chanson de moi
Qui ne soit tout faite
Avec vos mots vos pas
Avec votre musique
Je vous entends rêver
Douce comme rivière
Je vous entends claquer
Comme voile du large
Je vous entends gronder
Comme chute en montagne
Je vous entends rouler
Comme baril de poudre
Je vous entends monter
Comme grain de quatre heures
Je vous entends cogner
Comme mer en falaise
Je vous entends passer
Comme glace en débâcle
Je vous entends demain
Parler de liberté
Il me reste un pays à te dire
Il me reste un pays à nommer
Il est au tréfonds de toi
N'a ni président ni roi
Il ressemble au pays même
Que je cherche au coeur de moi
Voilà le pays que j'aime
Il me reste un pays à prédire
Il me reste un pays à semer
Vaste et beau comme la mer
Avant d'être découvert
Puis ne tient pas plus de place
Qu'un brin d'herbe sous l'hiver
Voilà mon Jeu et ma Chasse
Il te reste un pays à connaître
Il te reste un pays à donner
C'est ce pont que je construis
De ma nuit jusqu'à ta nuit
Pour traverser la rivière
Froide obscure de l'ennui
Voilà le pays à faire
Il me reste un nuage à poursuivre
Il me reste une vague à dompter Homme!
Un jour tu sonneras
Cloches de ce pays là
Sonnez femmes joies et cuivres
C'est notre premier repas
Voilà le pays à vivre
Il nous reste un pays à surprendre
Il nous reste un pays à manger
Tous ces pays rassemblés
Feront l'Homme champ de blé
Chacun sème sa seconde
Sous l'Amour qu'il faut peler
Voilà le pays du monde
Il nous reste un pays à comprendre
Il nous reste un pays à changer
Chanson du temps perdu
Il n'a plus de temps à perdre
Il n'y a que du temps perdu
Touche mes mains calme mes lèvres
Couche tes pieds tout près des miens
Marche et marche et neige au loin
Cherche et cherche on a perdu Amour
Il n'y a plus de jours à vendre
Il n'y a que chemins vendus
Il n'a plus de temps à perdre
Il n'y a que du temps perdu
Il n'y a plus de jours à vendre
Il n'y a que des jours vendus
Cache mon ombre ouvre les lèvres
Sache mon nom trouve le tien
Neige et vente et pleuve au loin
Pleure et pleure on a vendu Amour
Il n'y a plus de jours à vendre
Il n'y a que du temps perdu
Il n'y a plus de cherche à faire
Il n'y a que chemin perdu
Touche ma joue hâte ma vie
Bouge tes mains trouve mon pas
Larmes et rire et coeur tout près
Chante et chante on a trouvé Amour
Il n'a plus de temps à perdre
Il n'y a que du temps perdu
Jack Monoloy
Jack Monoloy aimait une blanche
Jack Monoloy était indien
Il la voyait tous les dimanches
Mais les parents n'en savaient rien
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc
Avait écrit au couteau de chasse
Le nom de sa belle sur les bouleaux
Un jour on a suivi leur trace
On les a vus au bord de l'eau
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc
Jack Monoloy est à sa peine
La Mariouche est au couvent
Et la rivière coule à peine
Un peu plus lentement qu'avant
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc
Jack Monoloy Dieu ait son âme
En plein soleil dimanche matin
En canot blanc du haut de la dam
Il a sauté dans son destin
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc
La Mariouche est au village
Jack Monoloy est sur le fond de l'eau
A voir flotter tous les nuages
Et les canots et les billots
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blan
Ballade de l'été
Passez le seuil de la saison,
Passez le champ de marguerites
Passez ruisseau, passez maison
Passez la rivière et la truite
Passez le pont, passez le bois
Et si la mousse vous mérite
Dormez-y que j'en fasse un rite
Ce doux été vous vient de moi
Dormez-y que j'en fasse un rite...
Ce doux été vous vient de moi
Dormez-y que j'en fasse un rite...
Ce doux été vous vient de moi
Perdez souci, perdez raison
Perdez le monde qui s'ébruite
Perdez le sens et l'oraison
Perdez le reste, aussi la suite,
Perdez la semaine et le mois
Et si quelque herbe vous irrite,
Faites-en votre favorite
Ce doux été vous vient de moi
Faites-en votre favorite...
Ce doux été vous vient de moi
Faites-en votre favorite...
Ce doux été vous vient de moi
Ramenez vents et venaison
Ramenez le jour qui s'effrite
Ramenez aussi l'horizon
Ramenez tout, que j'en hérite
Ramenez l'automne et le froid
Et si votre septembre abrite
Quelqu'autre amour restez gratuite...
Ce doux été vous vient de moi
Quelqu'autre amour restait gratuite
Ce doux été vous vient de moi
Quelqu'autre amour restait gratuite
Ce doux été vous vient de moi
Ballade de l'hiver
Il s'est fait long le temps perdu
Il m'est tombé beaucoup de rimes
À dire ce qu'on aurait dû
Perdre ou garder de cette escrime
Où le poète hautain n'arrime
Aujourd'hui que bien peu de vers...
Que l'on pardonne encore un crime
Au baladin de vos hivers
Que l'on pardonne encore un crime
Au baladin de vos hivers
J'aurai pour vous, c'est entendu,
Le vent qui mord, le froid qui lime,
Le loup maigre et le bois fendu,
L'ours qui dort, le trappeur qui trime...
Un Saint-Nicolas qui s'anime,
Plus vert que les vieux sapins verts,
Et tout ce que la neige imprime
Au baladin de vos hivers
Et tout ce que la neige imprime
Au baladin de vos hivers
D'ici que la neige ait fondu
Je me ferai jongleur et mime
Et l'hommage qui vous est dû
Sera fait sans masque, ni grime
En attendant que l'on supprime
Votre ménestrel à l'envers
Je veux laisser mon pseudonyme
Au baladin de vos hivers
Je veux laisser mon pseudonyme
Au baladin de vos hivers
Le printemps
Après Monsieur François Villon
Après Ronsard après Verlaine
Je veux labourer mon sillon
Sur la page encore toute pleine
Des neiges où vous n'étiez pas
Pour reconnaître sur la plaine
Bruit de mes mots bruit de mes pas
Et ma chanson de porcelaine
Nous venons tard mais nous prions
Les dieux de nous prêter haleine
Pour qu'on entende le grillon
Jusque au palais où la reine
File un bonheur de prince à roi
A défaut de filer la laine
Qu'elle entende un peu de nos voix
Et ma chanson de porcelaine
La fleur qui dort sous le pignon
Pendant que la gouttière égrène
Son cristal dans le bataillon
Lointain des clochers à sirènes
Mes saisons sont d'une semaine
Aussi j'ai ces printemps exprès
Que l'été vienne tout après
Et ma chanson de porcelaine
L'automne
Aujourd'hui que vous me donnez
Me vaut cent fois toute l'époque
Où vous et moi donnions du nez
Sur notre masque réciproque
Sachez qu'aujourd'hui me séduit
Plus que demain dont je me moque
Prince vous offrira breloque
Et moi je vous offre aujourd'hui
L'été qui me reste est fané
L'automne n'est plus qu'une loque
Le temps fuit Dame et je n'en ai
Gardé que pauvre soliloque
Laissons hier dans son étui
Qui le bailleur d'ennui invoque
Il vous offrira l'équivoque
Et moi je vous offre aujourd'hui
L'herbe rousse au vent chagriné
Les fleurs avant qu'hiver les croque
Ce poème qui terminé
N'aura d'ancien que le baroque
Voilà novembre aussi gratuit
Que les cent trous de ma défroque
Contre présents Prince vous troque
Et moi je vous offre aujourd'hui
LE TEMPS
QU'IL FAIT SUR MON PAYS
Le temps qu'il fait sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
Le temps qu'il fait sur mon pays
Il faut le dire à mes amis.
Dans les recoins de ce pays
Quatre maisons font un village
On y vit un siècle sans âge
C'est loin d'ailleurs et loin d'ici
En ce village que je dis
On ne dis pas: le vent, la neige...
On dit Fanfan et pour la neige
C'est Marie-Ange que l'on dit
Et le soleil se dit Gaillard
Et Dameline: c'est la pluie
Allez demander à la pie
Allez demander au renard
Le temps qu'il fait sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
Le temps qu'il fait sur mon pays
Il faut le dire à mes amis.
Gaillard était en haut du mât
Martin-pêcheur en eau profonde
Un oeil dans l'eau, l'autre à la ronde
Il voit s'en venir de là-bas
Une demoiselle d'ailleurs
Toute attifée en mousseline
Qui descend ainsi des collines
C'est Dameline toute en pleurs
Gaillard ne fait ni un ni deux
Descend du mât et plonge et nage
Dameline est dans le village
Déjà Gaillard est amoureux
Soleil qui luit sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
Soleil qui luit sur mon pays
Me faut le dire à mes amis.
Me voici pour sécher vos pleurs
Dit Gaillard à Dameline
Et les voici sur la colline
ET la colline toute en fleurs
Fanfan qui passait là-haut
Plus haut que la plus haute branche
Les a surpris dans leur dimanche
Et s'en retourne sans un mot
Et voici tout le ciel couvert
Il vente il pleut il tonne il rage
Il passe des bancs de nuages
Menés par une voix de fer
Le vent qui va sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
Le vent qui chante sur mon pays
Je veux le dire à mes amis.
C'est ainsi que fut inventé
L'hiver d'août de ce village
C'est une semaine d'orage
Et de froidure en plein été
Malin le voyageur Fanfan
Ramène parfois Marie-Ange
Ou c'est que Dameline change
Cape grise pour manteau blanc
Fanfan passe l'hiver au bois
À faire fête et poudrerie
Gaillard attend le temps des pluies
Et dit que le trois fait le mois
La pluie qui pleut sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
La pluie qui pleut sur mon pays
Je veux le dire à des amis.
En ce village que je dis
Rien ne se dit qu'en paraboles
Et la plus simple des paroles
Est pleine d'oiseaux et de nids
Voilà pourquoi j'ai appelé
Soleil et vent et neige et pluie
Des personnages qui s'enfuient
Quand je commence d'en parler
Si vous passez là par hasard
Et me jugez de menterie
Demandez à mère Amélie
Demandez au vieux Balthazar
Cela se passe quelque part
Dedans les îles de la vie
Allez demander à la pie
Allez demander au renard...
Le temps qu'il fait sur mon pays
J'irai le dire. Il faut le dire
Le temps qu'il fait sur mon pays
J'irai le dire à des amis.
J'AI POUR TOI UN LAC
J'ai pour toi un lac quelque part au monde
Un beau lac tout bleu
Comme un oeil ouvert sur la nuit profonde
Un cristal frileux
Qui tremble à ton nom comme tremble feuille
A brise d'automne et chanson d'hiver
S'y mire le temps, s'y meurent et s'y cueillent
Mes jours à l'endroit mes nuits à l'envers.
J'ai pour toi très loin une promenade
Sur un sable doux
Des milliers de pas sans bruit, sans parade,
Vers on ne sait où
Et les doigts du vent des saisons entières
Y ont dessiné comme sur nos fronts
Les vagues du jour fendues des croisières
Des beaux naufragés que nous y ferons
J'ai pour toi défait mais refait sans cesse
Les mille châteaux
D'un nuage aimé qui pour ma princesse
Se ferait bateau
Se ferait pommier se ferait couronne
Se ferait panier plein de fruits vermeils
Et moi je serai celui qui te donne
La terre et la lune avec le soleil
J'ai pour toi l'amour quelque part au monde
Ne le laisse pas se perdre à la ronde
JE M'ENNUIE D'UN PAYS
Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas un pays
Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas
Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas aujourd'hui
Je m'ennuie d'un pays qui sera
Ainsi parlait un voyageur
Qui vint chez nous un soir de pluie
Il était tout vêtu de gris
Il n'était pas de mes amis
Tout ce qui m'est resté de lui
C'est ce refrain dont il m'a dit
C'est ma chanson la moins finie
Et j'y travaille jour et nuit
Qui êtes-vous? Où allez-vous?
Il répondait: Je suis la roue
Et ce n'est pas trop long la vie
Pour aller de chez moi chez vous
Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas loin d'ici
Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas
Un pays qui frémit sous mon pas d'aujourd'hui
Je m'ennuie d'un pays qui sera
JEAN-DU-SUD
Quand Jean-du-Sud s'était mis dans la tête
D'aller chasser sur l'île d'Anticosti
Le swell dans le large annonçait une tempête
Mais Jean-du-Sud était déjà parti
Appareille mets deux ris dans la voile
On marchera sur les étoiles de mer
Quand Jean-du-Sud est venu mouiller dans le large
Tout le monde savait qu'il n'avait pas de poisson
Qui pouvait faire autant caler sa barge
Les femmes disaient qu'il avait de la boisson
Dans la baie y'a du rhum de la Jamaïque
Des gallons pis des barriques de vin
Quand Jean-du-Sud se mêlait de faire la pêche
Il s'en allait sur les bancs de mosquaro
Avait-il le goût de manger de la morue fraîche
Changeait toujours jusqu'au dernier carreau
La voile rouge s'en vient sur sa misaine
Est icitte pour une dizaine de jours
Quand Jean-du-Sud disait la mer est grande
Dans ses yeux bleus y'avait comme un matin
Parce qu'il faisait aussi la contrebande
Des illusions de paradis lointains
Capitaine méfie-toi des mirages
Des bateaux sur les nuages dans le ciel
Quand Jean-du-Sud nous contait ses voyages
On avait l'impression d'être ses matelots
II nous parlait en regardant les nuages
Qui dessinaient des îles nouvelles dans l'eau
Serre l'écoute sur les hauts-fonds ça casse
Faut dériver dans la passe du nord
Était tout seul à bord de son Mât d'hune
C'était comme ça qu'on appelait son voilier
Il n'était pas rendu l'autre bord de la dune
Pis on le pensait à l'Anse-aux-Madriers
Capitaine a la voile et aux cordages
Il était son équipage tout seul!
Quand Jean-du-Sud a trouvé sa tempête
On a trouvé son mât pis son beaupré
Hurlait le vent et braillaient les mouettes
Dans la petite anse où ce qu'il aimait s'ancrer
Jean-du-Sud drapé dans sa grande voile
Marche enfin sur les étoiles de mer
Paraît qu'il est redevenu capitaine
Sur une goélette qui se promène sur le fond de l'eau
La houle du Sud, c'est son manteau qui traîne
La brume de l'Est, la fumée de son brûlot
Jean-du-Sud a la voile et aux amarres
Désormais reste à la barre du jour
LA DANSE À
SAINT-DILON
Samedi soir à Saint-Dilon
Y avait pas grande chose à faire
On a dit: "On fait une danse,
On va danser chez Bibi".
On s'est trouvé un violon
Un salon, des partenaires
Puis là la soirée commence,
C'était vers sept heures et demie
Entrez mesdames, entrez messieurs,
Marianne a sa belle robe et puis Rolande a ses yeux bleus.
Yvonne a mis ses souliers blancs, son décolleté puis ses beaux gants,
Ça aime à faire les choses en grand,
Ça vient d'arriver du couvent.
Y'a aussi Jean-Marie, mon cousin puis mon ami
Qu'a mis sa belle habit avec ses petits souliers vernis.
Le voilà mis comme on dit comme un commis-voyageur.
Quand on danse à Saint-Dilon
C'est pas pour des embrassades
C'est au réel puis ça va vite
Il faut pas passer des pas
Il faut bien suivre le violon
Si vous voulez pas être sage
Aussi bien partir tout de suite
Y a ni temps ni place pour ça
Tout le monde balance et puis tout le monde danse.
Jeanne danse avec Antoine et puis Jeannette avec Raymond.
Tit-Paul vient d'arriver avec Thérèse à ses côtés,
Ça va passer la soirée à faire semblant de s'amuser
Mais ça s'ennuie de Jean-Louis, son amour et son ami,
Qui est parti gagner sa vie, l'autre bord de l'Île Anticosti,
Est parti un beau samedi comme un maudit malfaiteur.
Ont dansé toute la soirée
Le Brandy puis la Plongeuse
Et le Corbeau dans la cage
Et puis nous voilà passé minuit
C'est Charlie qui a tout câllé
A perdu son amoureuse
Il s'est fait mettre en pacage
Par moins fin mais plus beau que lui
Un dernier tour, la chaîne des dames
Avant de partir, je m'a serré la main plus fort,
Je m'a regardé, j'ai perdu le pas.
Dimanche au soir, après les Vêpres,
J'irai-t-il bien j'irai-t'il pas?
Un petit salut, passez tout droit,
J'avais jamais viré comme ça!
Me voilà toute étourdie, mon amour et mon ami!
C'est ici qu'il s'est mis à la tourner comme une toupie.
Elle a compris puis elle a dit: Les mardi puis les jeudis,
Ça ferait-il ton bonheur?
Quand un petit gars de Saint-Dilon
Prend sa course après une fille
Il fa fait virer si vite
Qu'elle ne peut plus s'arrêter
Pour un petit air de violon
A vendrait toute sa famille
A penser que samedi en huit
Il peut peut-être la reinviter
Puis là ôte ta capine puis swing la mandoline
Et puis ôte ton jupon puis swing la Madelon.
Swing-la fort et puis tords-y le corps
Puis fais-y voir que t'es pas mort!
Domino ! Les femmes ont chaud !
QUAND VOUS MOURREZ
DE NOS AMOURS
Quand vous mourrez de nos amours
J'irai planter dans le jardin
Fleur à fleurir de beau matin
Moitié métal moitié papier
Pour me blesser un peu le pied
Mourez de mort très douce
Qu'une fleur pousse
Quand vous mourrez de nos amours
J'en ferai sur l'air de ce temps
Chanson chanteuse pour sept ans
Vous l'entendrez, vous l'apprendrez
Et vos lèvres m'en sauront gré
Mourez de mort très lasse
Que je la fasse
Quand vous mourrez de nos amours
J'en ferai deux livres si beaux
Qu'ils vous serviront de tombeaux
Et m'y coucherai à mon tour
Car je mourrai le même jour
Mourez de mort très tendre
À les attendre
Quand vous mourrez de nos amours
J'irai me pendre avec la clef
Au crochet des bonheurs bâclés
Et les chemins par nous conquis
Nul ne saura jamais par qui
Mourez de mort exquise
Que je les dise
Quand vous mourrez de nos amours
Si trop peu vous reste de moi
Ne me demandez pas pourquoi
Dans les mensonges qui suivraient
Nous ne serions ni beaux ni vrais
Mourez de mort très vive
Que je vous suive
SI LES BATEAUX
Si les bateaux que nous avons bâtis
Prennent la mer avant que je revienne
Cargue ta voile, aussi la mienne
Fais comme si... fais comme si
Nous en étions toujours les capitaines
Nous en étions toujours les capitaines
Profond comme au large de l'île
Doux comme une aile d'istorlet
Loin comme l'Angleterre
Je t'aimerai
Je t'aimerai
Si les trésors dont nous avions la clé
Le plan la carte et la belle aventure
N'étaient que rêve et qu'imposture
Évoque-les... évoque-les
Par des drapeaux de plus dans les mâtures
Par des drapeaux de plus dans les mâtures
Profond comme au large de l'île
Doux comme une aile d'istorlet
Loin comme l'Angleterre
Je t'aimerai
Je t'aimerai
Si je me fais facteur ou jardinier
Ne me viens plus parler de contrebande
Mais si tu veux que je me pende
Au grand hunier... au grand hunier
Raconte-moi que tu as vu l'Irlande
Raconte-moi que tu as vu l'Irlande
Profond comme au large de l'île
Doux comme une aile d'istorlet
Loin comme l'Angleterre
Je t'aimerai
Je t'aimerai
JE VIENS D'ÉCRIRE UNE
LETTRE
Je viens d'écrire une lettre
Adressée à moi
Prends-la
Pour me la remettre
Tu voyageras
Mon enfant mon frère
Pour me la remettre
Tu voyageras
Je suis resté à ma porte
Au bout de mes premiers pas
La frontière est morte
Tu voyageras
Mon enfant mon frère
La frontière est morte
Tu voyageras
Sur de grands bateaux sans voiles
Je te vois monter déjà
Entre les étoiles
Tu voyageras
Mon enfant mon frère
Entre les étoiles
Tu voyageras
A travers ta descendance
Ma lettre me parviendra
Des siècles d'avance
Tu voyageras
Mon enfant mon frère
Des siècles d'avance
Tu voyageras
J'ai reçu de mon ancêtre
Les quelques mots que voilà
Prends pour te connaître
Le temps qu'il faudra
Mon enfant mon frère
Rien qu'à te connaître
Tu voyageras
J'ai appris par l'hirondelle
Que tes printemps seront là
Donne des nouvelles
Tu voyageras
Mon enfant mon père
Donne des nouvelles
On te répondra
LE DOUX CHAGRIN
J'ai fait de la peine à ma mie
Elle qui ne m'en a point fait
Qu'il est difficile...
Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile
Elle qui ne m'en a point fait
Et moi qui tant en méritais
Qu'il est difficile...
Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile
Et moi qui tant en méritais
Je sais ma mie, vous m'en ferez
Qu'il est difficile...
Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile
Je sais ma mie vous m'en ferez
Car depuis long de temps je sais
Qu'il est difficile...
Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile
Car depuis long de temps je sais
Que sans peine il n'est point d'aimer
Qu'il est difficile...
Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile
Que sans peine il n'est point d'aimer
Et sans amour, pourquoi chanter
Qu'il est difficile...
Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile
----------------------------------------------
Retour à l'accueil de La Poésie que j'aime ...