Notes biographiques

Gilles Vigneault naît à Natashquan, sur la Basse-Côte-Nord du Saint-Laurent, le 27 octobre 1928. Chansonnier, compositeur, poète et conteur. Il fait ses études classiques au Séminaire de Rimouski (B.A., 1950) où il compose ses premiers vers qui sont publiés dans la revue La Vie écolière, le journal des étudiants du séminaire. Il obtient ensuite une licence ès lettres à l'Université Laval (1953).

En 1948, il rencontre Félix Leclerc qui donne un récital de ses chansons à la Salle des Fêtes du séminaire de Rimouski.

En 1951, il participe aux activités théâtrales comme comédien avec la Troupe des Treize et en devient,  de 1956 à 1960, le directeur et metteur en scène. 

En 1958, la troupe remporte le trophée Calvert au Festival national d'art dramatique de l'Est du Québec.

En 1953, il travaille comme commis aux Presses de l'Université Laval.
Il est professeur au camp militaire de Valcartier (1954-1956) puis à l'Institut de technologie (1957-1961). 

En 1955, il épouse Rachel Cloutier dont il aura quatre enfants: Michel, Louis, François et Pascale.
Il fonde avec des amis, la revue Emourie (1953) qu'il publiera jusqu'en 1966.

En juin 1956, il abandonne son poste de professeur à Valcartier. Il écrit des textes pour une série d'émissions télévisées intitulée "Souvenirs, images du temps". Il anime pareillement, pour la télévision de Québec, une émission folklorique réalisée par Roger Fournier.

En septembre 1957, il professe, à nouveau, à l'Institut de Technologie de Québec. Il écrit le scénario d'un (très) court métrage Couteau dans la nuit.

En 1958, il anime une émission, très prisée, intitulée "Le Père Télès" dont il écrit également les textes. C'est ainsi qu'en décembre, il rencontre, lors d'une émission, le chanteur Jacques Labrecque à qui il donne des chansons comme "Jos Hébert" et surtout Jos Montferrand que Labrecque enregistrera l'année suivante. Il rédige également des textes pour la télévision Le Grand Duc, Dans tous les cantons, etc. 

En 1959, après qu'une maison d'édition eût refusé de publier un de ses recueils de poèmes, il inaugure les Éditions de l'Arc (maintenant les Nouvelles Éditions de l'Arc) qu'il dirigera pendant 30 ans et où il fera paraître tous ses livres à la suite d'Étraves, son premier recueil de poèmes jusqu'à son tout dernier L'armoire des jours. Il participe, à divers titres, à certains films Les Bacheliers de la cinquième, Poussière sur la ville, La Canne à pêche, etc. 

Comme Félix Leclerc, c'est par la littérature qu'il arrive à la chanson.
En 1960 s'ouvre à Québec, rue Saint-Jean, "la Boîte aux chansons", Gilles Vigneault devient poète chantant.
Le 25 octobre, il chante à Rimouski en première partie du spectacle de Félix Leclerc.
En juin 1961, il abandonne définitivement son métier de professeur. 

En novembre 1963, Gilles Vigneault se produit à la Comédie Canadienne. Il est le premier Québécois à y présenter un récital complet. Dès lors il donne nombre de spectacles, entreprend plusieurs tournées qui le conduiront partout à travers le Québec ainsi qu'en Europe (Olympia, Bobino, Fête de l'Humanité, etc.).  Pauline Julien fait triompher son Jack Monoloy à Sopot en 1965. 
 
En 1966, Monique Leyrac obtient le Grand prix international de la chanson en interprétant "Mon pays". À aucun moment toutefois, Vigneault ne songe à abandonner l'édition et la littérature, ses livres ont paru à un rythme régulier.

De nombreux prix ou honneurs soulignent soit son oeuvre littéraire, soit sa carrière de chansonnier:
- le prix Félix-Leclerc (1965);
- prix du Lieutenant-gouverneur pour son recueil Quand les bateaux s'en vont (1966);
- prix Calixa-Lavallée pour services rendus à la cause des Canadiens-français (1966);
- prix du Gouverneur général (1966);
- prix de l'Académie Charles-Cros pour son microsillon Du milieu du pont (1970);
- en 1980, il est fait chevalier de l'Ordre national du Québec;
- prix Molson, accordé par le Conseil des Arts du Canada, remis le 14 septembre 1982 sur la scène de l'Arlequin, pour avoir "exprimé pendant plus de vingt-cinq ans, l'âme de ses contemporains";
- prix des Arts d'interprétation "Denise- Pelletier" décerné par le gouvernement du Québec (1983);
- prix du président de la République "In Honorem" de l'Académie Charles-Cros pour l'ensemble de son oeuvre (1984);
- doctorat honorifique ès lettres de l'Université Laval (1987);
- médaille de Vermeil de la chanson française, un des grands prix décerné par l'Académie française (1988);
- médaille "La Gloire de l'Escalle" remis par l'Université Laval (1989) la plus haute distinction attribuée à un auteur-compositeur du Canada.
- prix William Harold Moon, lui a été décernée en novembre 1996.
- Le journal La Presse souligne la reconnaissance de Gilles Vigneault sur la scène pancanadienne en le nommant "Personnalité de la semaine". (1er décembre 1996)

Il a aussi reçu deux doctorats honorifiques de l'Université Trent de Peterborough (1975) et de l'Université du Québec à Rimouski (1979), la Légion d'honneur (1986).
En 1990, de l'Université de Lyon, un doctorat honoris causa.

Depuis, sur un quart de siècle, avec toute la patience héritée de ses pères, avec l'amour des «gens de ce pays», Vigneault chante des personnages hauts en couleur et raconte ce "pays qui est l'hiver".

à consulter également: Gilles Vigneault 

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Gilles Vigneault : « La langue française est assiégée »

(propos recueillis par Jean-Michel Demetz L'Express du 17/10/2002
www.lexpress.fr)

Ce chanteur n'est pas un chanteur, c'est un monument national. Couvert d'honneurs, Gilles Vigneault reste, avec Félix Leclerc, l'un des bardes du réveil de la Belle Province.

Voilà plus de quarante ans qu'il chante l'hiver, le Québec, l'amour, la mer. Les personnages qu'il a créés, Jos Monferrand, Jack Monoloy, Caillou Lapierre, ont leur place dans la culture populaire. Gens du pays a un quasi-statut d'hymne officiel. Poète engagé, nationaliste sourcilleux dès qu'il s'agit de la langue française, Vigneault est une voix originale dans le panthéon de la littérature d'expression française

Votre œuvre est à ce point identifiée à ce pays qu'on a envie de vous demander, tout de go, non pas comment vous allez, mais comment va le Québec...

Bien, merci. Mais j'insiste tout de suite : je ne suis pas le médecin de famille du Québec. Ni son psychanalyste. Pourtant, à mon sentiment, le Québec va mieux aujourd'hui. Il n'a jamais été dans une si bonne santé économique : le chômage diminue, le bâtiment va, tout va... Et moi, je chante encore, même si, au marché aux puces, où je me rends chaque mardi, on me demande souvent si je suis à la retraite parce qu'on ne me voit plus à la télévision... Mais je suis toujours vivant, merci. Le Québec va bien parce qu'il est tolérant envers les ethnies différentes qui l'habitent. Les Québécois sont des gens tolérants. A tous égards. Peut-être trop, d'ailleurs. Mais je me demande comment on peut être trop tolérant.

A 74 ans, le dernier des grands poètes québécois chante encore. Il vient de monter un nouveau spectacle, Au bout du cœur, et sera en tournée en France en mars prochain. Un autre album devrait, cet hiver, s'ajouter à une œuvre déjà importante. Poète, chanteur, Vigneault continue aussi à écrire des contes pour enfants. Et à observer, dans ce Québec tant aimé, « ce pays qui n'est pas un pays », l'effritement du rêve indépendantiste, dans lequel il persiste pourtant à placer ses espoirs. Patriarche de la francophonie, ce « désespéré joyeux » raconte, au gré des digressions, cette liaison passionnée avec une langue qu'il aura servie en amant fidèle.

« La tolérance, il y a des maisons pour ça », disait Paul Claudel...

Je n'aime pas Claudel. Je le trouve trop catholicard, trop ronflant, trop prétentieux. Encore que dans les petites poésies écrites pour sa petite fille quand il était au Japon, il ait écrit des choses très belles... Oh ! un grand écrivain, je le reconnais humblement. Mais je préfère Supervielle. Ou Apollinaire. Parlons d'autre chose.

Tout ce pour quoi vous vous êtes battu, des années durant - l'indépendance du Québec, la dénonciation de la société marchande et de la puissance américaine - est en recul aujourd'hui. L'indépendance, vous y croyez encore ?

Je serais un imbécile si je n'avais pas mes inquiétudes. On dit que le Québec est en train de virer à droite : ce n'est pas fait. Si le Québec votait comme les sondages l'indiquent ces temps-ci, je serais très déçu. Et je recommencerais à gueuler pour ce pourquoi j'ai gueulé toute ma vie.

Le Parti québécois, la formation souverainiste au pouvoir, n'a t-il pas achevé son rôle historique ?

Je ne pense pas. Mais, un quart de siècle, c'est une excellente occasion pour faire un bilan. Et, peut-être, repartir à nouveau, après avoir corrigé la course. Car, sur la mer, il arrive que les vents, les courants, les remous, les écueils fassent dévier un peu le vaisseau. Il y a des raccourcis qui sont des rallonges.

Et l'indépendance du Québec, qui paraît plus lointaine que jamais ?

J'y crois toujours et j'y travaille, en faisant mon métier, en continuant d'avoir mon pays dans mes chansons. Les échecs des référendums sont normaux. Ici, on voudrait tout avoir, tout de suite. C'est typiquement américain, typiquement Nouveau Monde. René Lévesque m'a raconté comment André Malraux lui avait demandé : « De quel côté sont les poètes ? Et René Lévesque : « Du nôtre ! » Alors Malraux : « Ça va, c'est comme si c'était fait. » Cela veut dire simplement que ça se fera, mais cela ne veut pas dire demain. Malraux avait la connaissance du temps qui passe et de celui qui dure.

Elisabeth, reine du Canada, en visite ces jours-ci, vient de vanter le « génie canadien de l'ouverture à autrui et de la réconciliation »...

[Rires.] Vous n'avez pas fait un tel voyage pour me parler de la reine. Je vous ai dit qu'on était très tolérant au Québec. Mais ajoutons tout de suite qu'on a des limites. Vous avez remarqué qu'elle se promène au Canada chez les Anglais, mais qu'elle n'est pas invitée au Québec. [Rires.] C'est pas poli, hein ?

« Il y a ici une façon de vivre distincte de l'Amérique » Vous n'êtes pas réconcilié avec le Canada ?

Je ne peux pas : il n'y a jamais eu de chicane. Le Canada devrait simplement un jour se rendre compte qu'il doit sortir du Québec. Le Canada est un pays qui ne veut pas exister. Il avait une occasion extraordinaire d'exister en ayant le Québec avec lui. Chaque fois, il a refusé de la saisir, à Meech, à Charlottetown. C'est une voiture qui a peur de son moteur. Parce que le moteur, c'est la contradiction, c'est ce qui fait avancer. Et le moteur du Canada a longtemps été le Québec. J'ai lu, dernièrement, quelque chose de très drôle dans un journal américain, où il était écrit que les Français devraient retourner chez eux et arrêter d'embêter les anglophones en Amérique. Eh ben [rires], il faudrait qu'ils relisent un peu l'Histoire ! Et le Canada aussi aurait avantage à relire son histoire. Et à se demander comment exister autrement que géographiquement. Le Canada est un pays intéressant à faire, je veux dire, avec le Québec. Mais il ne veut pas. A Meech, le Québec était prêt à signer pour des symboles et eux, de l'autre côté, gardaient le cash. Ils n'avaient qu'à reconnaître notre société distincte et ils nous avaient. Ils n'ont pas voulu. Ils ne savent pas qui ils sont. Le Canadien se demande chaque jour : est-ce que je suis un Américain ? Un A-mé-ri-cain. Pas un Nord-Américain. Nous z'autres, les Québécois, on est distincts grâce à la langue. Voilà le pays. Le pays, ce n'est pas un territoire, c'est un ensemble de gens qui ont décidé d'habiter ensemble une certaine portion de la planète d'une certaine façon. Et de vivre, en préférant le vin rouge au mauvais champagne ou au vin piqué, ou le vin blanc au gin. Nous parlons d'identité. Il y a ici une façon de vivre distincte de l'Amérique. Une universitaire, à Toronto, a déclaré : « Eh bien, si jamais le Québec se sépare, ça fera un coin d'Europe qu'on pourra visiter sans traverser l'océan. » Ça cause, ça. C'est une petite remarque, c'est peut-être une boutade. Mais ça cause.

Mais le Québec de demain, par sa faible natalité et son immigration, sera plus asiatique ou africain. C'est toute la mémoire française à laquelle vous êtes si attaché, comme en témoigne la facture classique de votre poésie, qui est menacée de disparition....

Récemment, alors que j'étais en tournée à Magog, dans les Cantons-de-l'Est, un jeune Asiatique m'a confié, ému : « J'ai été élevé avec vos chansons. » C'est une anecdote. Mais elle n'est pas unique. Et cela veut dire que nous avons intégré sans intégrisme des cultures, des morceaux de cultures extérieures qui renforcent la culture québécoise. Ça rend la culture québécoise cultivée. Et c'est une dynamique extraordinaire d'être non seulement tolérant mais accueillant, « recevant », comme on disait chez nous, à Natashquan, quand j'étais petit. Ça voulait dire bienveillant à l'égard de celui qui arrive. Le Québec doit surtout ne pas avoir peur. La peur, c'est le meilleur ferment pour le racisme. Et tous les intégrismes du monde. Et tous les fascismes. Il y a des « ismes » qui se suivent, même s'ils ne se ressemblent pas toujours.

Depuis le 11 septembre 2001, partagez-vous ce sentiment nouveau de vulnérabilité qui a saisi l'Amérique du Nord ?

Quand on m'a dit, le 11 septembre, « On est tous Américains », j'ai frémi, bondi, ragé. Non ! Nous sommes sympathisants, nous pleurons avec les gens qui pleurent où qu'ils se trouvent dans le monde, d'ailleurs. Nous avons pleuré à la chute d'Allende, également. Nous avons pleuré pendant les événements du Rwanda. Et à d'autres occasions. Mais il ne faut pas avoir peur, ne pas foncer tête baissée. Pas courir, mais marcher. Courir, c'est dangereux, surtout avec quatre roues au-dessous. Il faut marcher avec la conscience de sa marche. Le fascisme est une mauvaise herbe qui pousse sur n'importe quel terrain. Mais ça me fait penser à mon charpentier qui dit : « Rien de nouveau sur la planète, mais ça reste un métier honnête, tu pourrais faire un charpentier. [Et il chante.] Mais ne fais pas un militaire, car ce n'est pas un beau métier que d'aller tuer des charpentiers de l'autre côté de la Terre. » Et on plaint le métier du militaire qui devient son propre fusil, son propre outil. C'est le plus triste sur la Terre.

L'écrivain Julien Gracq s'inquiétait récemment de voir la langue française « refoulée peu à peu dans les marges ». Partagez-vous ce pessimisme ?

Le français est une langue en état de défense et qui ne s'y attendait pas il y a vingt ans. Une langue en état de siège. Et pas par l'arabe. Ni par le chinois.

Comment une langue se défend-elle quand elle est assiégée ?

Vous me posez de ces questions !

A qui la poser, sinon à un poète ?

Mon Dieu ! Le poète n'a pas toutes les réponses. De loin, de loin. Il voudrait, mais alors il serait dangereux. Alors, mieux vaut pas. Vous imaginez les poètes au pouvoir ? [Rires.] Mon Dieu ! D'autres langues survivent dans le monde parce qu'il y a des gens qui les parlent. D'abord la parler, le mieux possible. Et pour cela l'apprendre. Et savoir, au départ, que la langue, c'est le véritable pays.

Vous êtes plus proche d'un Beyrouthin ou d'un Néo-Calédonien que d'un anglophone de Montréal ?

Vous me faites un compliment, merci ! Mais je suis d'accord pour être proche, enfin, près aussi d'un anglophone de Montréal. Mon fils Guillaume, un jeune romancier, vient d'être traduit en anglais. J'en suis très fier. Donc, je suis d'accord pour être proche d'un anglophone. Mais à condition qu'il veuille lui aussi être proche de moi. Ce qui est triste avec la langue - toutes les langues - c'est que le gros éléphant qui est en train de détruire la langue des souris, s'il savait ce que la souris dit et à quel point la langue de la souris est précieuse pour nommer, renommer, faire exister son propre monde et celui de l'éléphant, il serait le premier à faire attention à ne pas marcher sur la souris. Et il se coucherait pour mettre sa grande oreille contre l'oreille de la petite.

Parmi les Français que vous avez rencontrés, quels sont ceux que vous jugez remarquables ?

Alain Rey ! Et Philippe Soupault, le dernier des surréalistes. Charles Trenet, Jean-Pierre Chabrol, Bernard Clavel, Paul Ribeyrolles, le peintre.

Et aujourd'hui, la France ne vous paraît-elle pas à sec ?

Non, il y a des ressources. Il pousse encore du monde qui pense. Je serais très malvenu de critiquer la France de façon intempestive et disgracieuse. Mais je disais, en 1975, en 1980, lors de mes tournées : « Vous savez, vous avez des remparts de gros dictionnaires. Pourtant, quand vous mettez le mot "look" à la place de cinq autres mots sur les affiches, vous venez de sacrifier les cinq autres mots. » Et quand le vin s'appellera uniquement wine, eh bien, il ne goûtera pas la même chose. Mais on est malvenu de sonner le tocsin chez des gens qui vous reçoivent. Même si, en France, je me suis senti chez moi comme au Québec, comme à chaque endroit où j'arrive à m'exprimer dans ma langue et qu'on me comprend. Il y avait plein de gens, ici, qui étaient complexés à l'époque et qui me demandaient : « Mais en France, est-ce qu'ils vous comprennent ? » Tu parles !

« Si on perd notre langue, on perd notre pays » Vous avez toujours peur qu'on finisse tous en Louisiane ?

Non, j'ai confiance. Vous allez dire, c'est de l'entêtement. Mais, si les Québécois, qui étaient 70 000 en 1660, sont aujourd'hui 7 millions, c'est grâce à leur entêtement. La chanson que vous évoquez veut tout simplement dire : si on perd notre langue, on perd notre pays. C'est un avertissement pour toute la francophonie, me semble t-il. [Il chante.] « Il me reste un pays à prédire... »

Vous avez écrit : « Les mots français sont l'emballage du bonheur du Québec »...

C'est moi qui ai dit ça ? C'est pas mal. Je suis étonné. [Rires.] On ne peut pas être coupable de tout, même en essayant. Et puis attention, à force d'innocence, on peut être coupable.

Parmi vos motifs d'indignation, il y a les menaces sur l'environnement.

La forêt québécoise n'a pas disparu. Ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas menacée ; mais je soupçonne qu'on verse dans l'apocalyptique pour obtenir des changements, de nouvelles mœurs forestières, par exemple. Je ne suis pas un sonneur de tocsin. Je l'ai été, mais je trouve qu'on a peut-être, chacun, une cloche à sonner. La cloche tire aussi la corde. Je n'aimerais pas qu'on dise de moi : « Regarde comme il monte haut, le sonneur ! » et qu'on ne sache pas pourquoi je sonne. Autrefois, c'étaient les pierres qui étaient les gardiens des monts. Aujourd'hui, c'est le contraire. Ce sont les monts qui sont les gardiens des pierres. Si tant est que les pierres puissent être gardées.

Si vous deviez troquer toute votre œuvre pour deux vers que vous auriez aimé écrire, lesquels seraient-ils ?

D'abord, je ne le ferais pas. Mais si j'y étais obligé, ce serait probablement des vers de François Villon : « Frères humains qui après nous vivez/ N'ayez les cœurs contre nous endurcis/ Car, si pitié de nous pauvres avez... »

Quel est, à vos yeux, le plus beau mot de la langue française ?

Femme, nue surtout.

Qu'aimeriez-vous que la postérité retienne de vous ?

J'aimerais qu'on dise de moi - attention, c'est prétentieux, forcément - ce que Térence, le poète latin, avait écrit d'un de ses amis : « Rien de ce qui est humain ne lui était étranger. »

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OEUVRES POÉTIQUES
 
· L'armoire des jours, 1998. (extraits)
· Bois de marée, 1992
· Le Grand Cerf-Volant, 1986.
· Septuor maritime, 1984. (ouvrage publié à l'occasion du 450e anniversaire de la traversée de l'Atlantique par Jacques Cartier)
. Avant que... l'hiver, 1981.
· Silences, 1978. 
· À l'encre blanche , 1977 (Édition de luxe).
· Natashquan, le village immobile, 1976.
· Exergues, 1971.
· Québec, première ville française en Amérique. Où la lumière chante,1966.
· Balises, 1964.
· Étraves, 1959.

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- Des mots pour écrire, chanter, conter et danser

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L’armoire des jours  (3 extraits)

L'ARCHITECTE 

Un enfant de six ans et qui joue sur la
plage. Un peintre arrive qui tombe en
arrêt devant le château de sable que
l'enfant est à terminer.
- Qu'est-ce que tu fais, toi?
- Je suis peintre.
- Pourrais-tu peindre mon château?
- Oui. Volontiers.
Et le peintre installe son chevalet et peint le château.
Sitôt le
château terminé, l'enfant lui dit:
- Maintenant, il ne peut plus se défaire.
Et le voici qui va plus loin en commencer
un autre...

(page 34)

 

LA LESSIVE

Nos chemises pliées tout en haut de
l'armoire, qui attendaient parfois des
jours et des semaines. Et nos mains se
hâtaient vers les odeurs de propre
qu'elles avaient gardées de leur passé de
voile... dans le vent du suroît qui
secouait la corde tendue de la maison à
la bâtisse à bois...J'y songe quand
j'écris. Quand je plie mon poème. Et
que je viens l'étendre sous le vent de
vos yeux

(page 29)

 

CORDER LE BOIS

Ces trois derniers jours, j'ai cordé du
bois. Le bois du verglas. Pensé à mon père.
Qui me l'a montré. On ne fait pas ça
n'importe comment. On fait adonner les
noeuds et la taille et le beau côté que la scie
a fait. Et si un morceau n'est pas à sa place,
on le met ailleurs. C'est du temps: corder.
Des jours et des heures à se voir agir
comme qui mettrait du temps dans l'espace
où c'était prévu par petits morceaux. Des
heures... des jours le même silence et les
mêmes gestes cent fois répétés et repris
encore pour corder en soi un peu du décor.
Mais je suis content, j'ai cordé dix cordes:
du frêne, du pin, du saule et de l'orme, du
faux peuplier, du bouleau, du cèdre, mais
pas de sapin, pas gros d'épinette; le grand
sécateur les a épargnés.
Ma corde finie, je l'ai enlignée, l'oeil
assez heureux. J'entendais mon
père: «T'auras gardé ça. C'est toujours
autant...»
Et moi lui répondre: «Oh c'est
important! Bien plus important que vous
pourriez croire. Le bois bien cordé, il sèche
plus vite, et ça paraît mieux! Ça résiste au
vent!»
J'ai gardé tout ça et plus en mémoire,
comme on plie au fond d'une vieille
armoire les plus beaux habits.
Je l'ouvre souvent.

(pages 214-215)

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Entre musique et Poésie

Entre musique et poésie 
Entre prescience et nostalgie 
Entre espoir et mélancolie 
Entre la corde et l’arcanson 
Entre le cri et la parole 
Entre le ruisseau et l’école 
Est née… un jour; la Sage-Folle 
Qu’on appelle encor : La chanson 

Est-ce in cri de joie ou de guerre? 
Est-ce un enfant ou bien sa mère 
Est-ce l’Amour qui sur terre 
Inventa le premier refrain? 
Comptine, berceuse… ou romance? 
Chaque siècle s’y recommence. 
La chanson c’est la voix immense 
Qui parle au nom du cœur humain. 

Avec trois mots d’amour en tête 
Voyez la moindre chansonnette 
Qui fait le tour de la planète 
Revient et dit : C’est votre tour ! 
À la complainte, à la rengaine 
Qui se sont donné tant de peine 
Pour entrer dans la grande chaîne 
… Puis… en sortir, le même jour. 

Avec trois accords de guitare 
Deux amants qu’un destin sépare 
Une nuit de Lune… une gare 
La chanson vous fait un roman ! 
Et vous fait vivre ses alarmes 
Et vous met dans les mains des armes 
Et vous emplit les yeux de larmes 
Et le cœur de grands sentiments… 

Elle a sauvé plus d’un navire… 
Elle a renversé des empires… 
Elle a su pourfendre ou séduire 
Les plus faibles et les plus forts. 
Sa noblesse va sans les lettres 
Elle n’a pas trouvé son maître. 
Elle a nommé, montré les traîtres 
Cela pourra servir encor ! 

C’est la fille aînée du langage 
Qui part avec pour bagage 
Ses mots qui font dans les cordages : 
Do ré mi fa sol la si… do ! 
Quand on la voit flotter au faîte 
Des mâts, des bras et des poètes 
C’est que la lumière s’est faite… 
C’est qu’elle a le vent dans le dos 
Et qu’on peut commencer la Fête!…

 

Le Poète

Je prendrai dans ma main gauche
Une poignée de mer
Et dans ma main droite
Une poignée de terre,
Puis je joindrai mes deux mains
Comme pour une prière
Et de cette poignée de boue
Je lancerai dans le ciel
Une planète nouvelle
Vêtue de quatre saisons
Et pourvue de gravité
Pour retenir la maison
Que j'y rêve d'habiter.
Une ville. Un réverbère.
Un lac. Un poisson rouge.
Un arbre et à peine
Un oiseau.
Car une telle planète
Ne tournera que le temps
De donner à l'Univers
La pesanteur d'un instant.

(Balises, 1964)

 

(extrait de Jos Monferrand)


Autant vous dire la vérité
J'ai pas grandi d'un sacré pouce
En seulement le diable me pousse
Quand je m'arrête de turluter
Je revire un bordi-bordagne
Je mets la ville dans la campagne
Puis Ti-Jean prend son violon
Que la Province trousse son jupon
Que la Province trousse son jupon 
Le cul sur le bord du Cap Diamant
Les pieds dans l'eau du Saint-Laurent
J'ai jasé un petit bout de temps
Avec le grand Jos Monferrand 

 

Mon pays 

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Dans la blanche cérémonie
Où la neige au vent se marie
Dans ce pays de poudrerie
Mon père a fait bâtir maison

Et je m'en vais être fidèle
À sa manière, à son modèle
La chambre d'amis sera telle
Qu'on viendra des autres saisons
Pour se bâtir à côté d'elle

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon refrain ce n'est pas un refrain, c'est rafale
Ma maison ce n'est pas ma maison, c'est froidure
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
À tous les hommes de la terre
Ma maison c'est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
À préparer le feu, la place
Pour les humains de l'horizon
Et les humains sont de ma race

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon jardin ce n'est pas un jardin, c'est la plaine
Mon chemin ce n'est pas un chemin, c'est la neige
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'envers
D'un pays qui n'était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n'est pas une chanson, c'est ma vie
C'est pour toi que je veux posséder mes hivers

 

Les gens de mon pays

Les gens de mon pays
Ce sont gens de paroles
Et gens de causerie
Qui parlent pour s'entendre
Ils parlent pour parler
Il faut les écouter
C'est parfois vérité
Et c'est parfois mensonge
Mais la plupart du temps
C'est le bonheur qui dit
Comme il faudrait de temps
Pour saisir le bonheur
À travers la misère
Émmaillée au plaisir
Tant d'en rêver tout haut
Que d'en parler à l'aise

Parlant de mon pays
Je vous entends parler
Et j'en ai danse aux pieds
Et musique aux oreilles
Et du loin au plus loin
De ce neigeux désert
Où vous vous entêtez
À jeter vos villages
Je vous répèterai
Vos parlers et vos dires
Vos propos et parlures
Jusqu'à perdre mon nom
Ô voix tant écoutées
Pour qu'il ne reste plus
De moi-même qu'un peu
De votre écho sonore

Je vous entends jaser
Sur les perrons des portes
Et de chaque côté
Des cléons des clôtures
Je vous entends chanter
Dans la demi-saison
Votre trop court été
Et notre hiver si longue
Je vous entends rêver
Dans les soirs de doux temps
Il est question de vents
De vente et de gréments
De labours à finir
D'espoir et de récolte
D'amour et du voisin
Qui va marier sa fille

Voix noires voix durcies
D'écorce et de cordages
Voix des pays plain-chant
Et voix des amoureux
Douces voix attendries
Des amours du village
Voix des beaux airs anciens
Dont on s'ennuie en ville
Piaillerie d'écoles
Et palabres et sparages
Magasin général
Et restaurant du coin
Les ponts, les quais, les gares
Tous vos cris maritimes
Atteignent ma fenêtre
Et m'arrachent l'oreille

Est-ce vous que j'appelle
Ou vous qui m'appelez
Langage de mon père
Et patois dix-septième
Vous me faites voyage
Mal et mélancolie
Vous me faites plaisir
Et sagesse et folie
Il n'est coin de la terre
Où je ne vous entende
Il n'est coin de ma vie
À l'abri de vos bruits
Il n'est chanson de moi
Qui ne soit tout faite
Avec vos mots vos pas
Avec votre musique

Je vous entends rêver
Douce comme rivière
Je vous entends claquer
Comme voile du large
Je vous entends gronder
Comme chute en montagne
Je vous entends rouler
Comme baril de poudre
Je vous entends monter
Comme grain de quatre heures
Je vous entends cogner
Comme mer en falaise
Je vous entends passer
Comme glace en débâcle
Je vous entends demain
Parler de liberté

 

 

Il me reste un pays

Il me reste un pays à te dire
Il me reste un pays à nommer
Il est au tréfonds de toi
N'a ni président ni roi
Il ressemble au pays même
Que je cherche au coeur de moi
Voilà le pays que j'aime

Il me reste un pays à prédire
Il me reste un pays à semer

Vaste et beau comme la mer
Avant d'être découvert
Puis ne tient pas plus de place
Qu'un brin d'herbe sous l'hiver
Voilà mon Jeu et ma Chasse

Il te reste un pays à connaître
Il te reste un pays à donner
C'est ce pont que je construis
De ma nuit jusqu'à ta nuit
Pour traverser la rivière
Froide obscure de l'ennui
Voilà le pays à faire

Il me reste un nuage à poursuivre
Il me reste une vague à dompter Homme!
Un jour tu sonneras
Cloches de ce pays là
Sonnez femmes joies et cuivres
C'est notre premier repas
Voilà le pays à vivre

Il nous reste un pays à surprendre
Il nous reste un pays à manger

Tous ces pays rassemblés
Feront l'Homme champ de blé
Chacun sème sa seconde
Sous l'Amour qu'il faut peler
Voilà le pays du monde

Il nous reste un pays à comprendre
Il nous reste un pays à changer

 

Chanson du temps perdu

Il n'a plus de temps à perdre
Il n'y a que du temps perdu
Touche mes mains calme mes lèvres
Couche tes pieds tout près des miens
Marche et marche et neige au loin
Cherche et cherche on a perdu Amour
Il n'y a plus de jours à vendre
Il n'y a que chemins vendus
Il n'a plus de temps à perdre
Il n'y a que du temps perdu

Il n'y a plus de jours à vendre
Il n'y a que des jours vendus
Cache mon ombre ouvre les lèvres
Sache mon nom trouve le tien
Neige et vente et pleuve au loin
Pleure et pleure on a vendu Amour
Il n'y a plus de jours à vendre
Il n'y a que du temps perdu

Il n'y a plus de cherche à faire
Il n'y a que chemin perdu
Touche ma joue hâte ma vie
Bouge tes mains trouve mon pas
Larmes et rire et coeur tout près
Chante et chante on a trouvé Amour
Il n'a plus de temps à perdre
Il n'y a que du temps perdu

 

Jack Monoloy
 
Jack Monoloy aimait une blanche
Jack Monoloy était indien
Il la voyait tous les dimanches
Mais les parents n'en savaient rien
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc 
Avait écrit au couteau de chasse
Le nom de sa belle sur les bouleaux
Un jour on a suivi leur trace
On les a vus au bord de l'eau
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc 
Jack Monoloy est à sa peine
La Mariouche est au couvent
Et la rivière coule à peine
Un peu plus lentement qu'avant
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc 
Jack Monoloy Dieu ait son âme
En plein soleil dimanche matin
En canot blanc du haut de la dam
Il a sauté dans son destin
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blanc 
La Mariouche est au village
Jack Monoloy est sur le fond de l'eau
A voir flotter tous les nuages
Et les canots et les billots
Tous les bouleaux de la rivière Mingan
Tous les bouleaux s'en rappellent
La Mariouche elle était belle
Jack Monoloy était fringant
Jack Jack Jack Jack Jack
Disaient les canards les perdrix
Et les sarcelles
Monoloy disait le vent
La Mariouche est pour un blan

 

Ballade de l'été

Passez le seuil de la saison,
Passez le champ de marguerites
Passez ruisseau, passez maison
Passez la rivière et la truite
Passez le pont, passez le bois
Et si la mousse vous mérite
Dormez-y que j'en fasse un rite
Ce doux été vous vient de moi
Dormez-y que j'en fasse un rite...
Ce doux été vous vient de moi
Dormez-y que j'en fasse un rite...
Ce doux été vous vient de moi

Perdez souci, perdez raison
Perdez le monde qui s'ébruite
Perdez le sens et l'oraison
Perdez le reste, aussi la suite,
Perdez la semaine et le mois
Et si quelque herbe vous irrite,
Faites-en votre favorite
Ce doux été vous vient de moi
Faites-en votre favorite...
Ce doux été vous vient de moi
Faites-en votre favorite...
Ce doux été vous vient de moi

Ramenez vents et venaison
Ramenez le jour qui s'effrite
Ramenez aussi l'horizon
Ramenez tout, que j'en hérite
Ramenez l'automne et le froid
Et si votre septembre abrite
Quelqu'autre amour restez gratuite...
Ce doux été vous vient de moi
Quelqu'autre amour restait gratuite
Ce doux été vous vient de moi
Quelqu'autre amour restait gratuite
Ce doux été vous vient de moi

 

 

Ballade de l'hiver

Il s'est fait long le temps perdu
Il m'est tombé beaucoup de rimes
À dire ce qu'on aurait dû
Perdre ou garder de cette escrime
Où le poète hautain n'arrime
Aujourd'hui que bien peu de vers...
Que l'on pardonne encore un crime
Au baladin de vos hivers
Que l'on pardonne encore un crime
Au baladin de vos hivers

J'aurai pour vous, c'est entendu,
Le vent qui mord, le froid qui lime,
Le loup maigre et le bois fendu,
L'ours qui dort, le trappeur qui trime...
Un Saint-Nicolas qui s'anime,
Plus vert que les vieux sapins verts,
Et tout ce que la neige imprime
Au baladin de vos hivers
Et tout ce que la neige imprime
Au baladin de vos hivers

D'ici que la neige ait fondu
Je me ferai jongleur et mime
Et l'hommage qui vous est dû
Sera fait sans masque, ni grime
En attendant que l'on supprime
Votre ménestrel à l'envers
Je veux laisser mon pseudonyme
Au baladin de vos hivers
Je veux laisser mon pseudonyme
Au baladin de vos hivers

 

Le printemps

Après Monsieur François Villon
Après Ronsard après Verlaine
Je veux labourer mon sillon
Sur la page encore toute pleine
Des neiges où vous n'étiez pas
Pour reconnaître sur la plaine
Bruit de mes mots bruit de mes pas
Et ma chanson de porcelaine

Nous venons tard mais nous prions
Les dieux de nous prêter haleine
Pour qu'on entende le grillon
Jusque au palais où la reine
File un bonheur de prince à roi
A défaut de filer la laine
Qu'elle entende un peu de nos voix
Et ma chanson de porcelaine

La fleur qui dort sous le pignon
Pendant que la gouttière égrène
Son cristal dans le bataillon
Lointain des clochers à sirènes
Mes saisons sont d'une semaine
Aussi j'ai ces printemps exprès
Que l'été vienne tout après
Et ma chanson de porcelaine

 

L'automne

Aujourd'hui que vous me donnez
Me vaut cent fois toute l'époque
Où vous et moi donnions du nez
Sur notre masque réciproque
Sachez qu'aujourd'hui me séduit
Plus que demain dont je me moque
Prince vous offrira breloque
Et moi je vous offre aujourd'hui

L'été qui me reste est fané
L'automne n'est plus qu'une loque
Le temps fuit Dame et je n'en ai
Gardé que pauvre soliloque
Laissons hier dans son étui
Qui le bailleur d'ennui invoque
Il vous offrira l'équivoque
Et moi je vous offre aujourd'hui

L'herbe rousse au vent chagriné
Les fleurs avant qu'hiver les croque
Ce poème qui terminé
N'aura d'ancien que le baroque
Voilà novembre aussi gratuit
Que les cent trous de ma défroque
Contre présents Prince vous troque
Et moi je vous offre aujourd'hui

 

LE TEMPS QU'IL FAIT SUR MON PAYS

Le temps qu'il fait sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
Le temps qu'il fait sur mon pays
Il faut le dire à mes amis.

Dans les recoins de ce pays
Quatre maisons font un village
On y vit un siècle sans âge
C'est loin d'ailleurs et loin d'ici
En ce village que je dis
On ne dis pas: le vent, la neige...
On dit Fanfan et pour la neige
C'est Marie-Ange que l'on dit
Et le soleil se dit Gaillard
Et Dameline: c'est la pluie
Allez demander à la pie
Allez demander au renard

Le temps qu'il fait sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
Le temps qu'il fait sur mon pays
Il faut le dire à mes amis.

Gaillard était en haut du mât
Martin-pêcheur en eau profonde
Un oeil dans l'eau, l'autre à la ronde
Il voit s'en venir de là-bas
Une demoiselle d'ailleurs
Toute attifée en mousseline
Qui descend ainsi des collines
C'est Dameline toute en pleurs
Gaillard ne fait ni un ni deux
Descend du mât et plonge et nage
Dameline est dans le village
Déjà Gaillard est amoureux

Soleil qui luit sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
Soleil qui luit sur mon pays
Me faut le dire à mes amis.

Me voici pour sécher vos pleurs
Dit Gaillard à Dameline
Et les voici sur la colline
ET la colline toute en fleurs
Fanfan qui passait là-haut
Plus haut que la plus haute branche
Les a surpris dans leur dimanche
Et s'en retourne sans un mot
Et voici tout le ciel couvert
Il vente il pleut il tonne il rage
Il passe des bancs de nuages
Menés par une voix de fer

Le vent qui va sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
Le vent qui chante sur mon pays
Je veux le dire à mes amis.

C'est ainsi que fut inventé
L'hiver d'août de ce village
C'est une semaine d'orage
Et de froidure en plein été
Malin le voyageur Fanfan
Ramène parfois Marie-Ange
Ou c'est que Dameline change
Cape grise pour manteau blanc
Fanfan passe l'hiver au bois
À faire fête et poudrerie
Gaillard attend le temps des pluies
Et dit que le trois fait le mois

La pluie qui pleut sur mon pays
Je veux le dire. Me faut le dire
La pluie qui pleut sur mon pays
Je veux le dire à des amis.

En ce village que je dis
Rien ne se dit qu'en paraboles
Et la plus simple des paroles
Est pleine d'oiseaux et de nids
Voilà pourquoi j'ai appelé
Soleil et vent et neige et pluie
Des personnages qui s'enfuient
Quand je commence d'en parler

Si vous passez là par hasard
Et me jugez de menterie
Demandez à mère Amélie
Demandez au vieux Balthazar
Cela se passe quelque part
Dedans les îles de la vie
Allez demander à la pie
Allez demander au renard...

Le temps qu'il fait sur mon pays
J'irai le dire. Il faut le dire
Le temps qu'il fait sur mon pays
J'irai le dire à des amis.

 

J'AI POUR TOI UN LAC

J'ai pour toi un lac quelque part au monde
Un beau lac tout bleu
Comme un oeil ouvert sur la nuit profonde
Un cristal frileux
Qui tremble à ton nom comme tremble feuille
A brise d'automne et chanson d'hiver
S'y mire le temps, s'y meurent et s'y cueillent
Mes jours à l'endroit mes nuits à l'envers.

J'ai pour toi très loin une promenade
Sur un sable doux
Des milliers de pas sans bruit, sans parade,
Vers on ne sait où
Et les doigts du vent des saisons entières
Y ont dessiné comme sur nos fronts
Les vagues du jour fendues des croisières
Des beaux naufragés que nous y ferons

J'ai pour toi défait mais refait sans cesse
Les mille châteaux
D'un nuage aimé qui pour ma princesse
Se ferait bateau
Se ferait pommier se ferait couronne
Se ferait panier plein de fruits vermeils
Et moi je serai celui qui te donne
La terre et la lune avec le soleil

J'ai pour toi l'amour quelque part au monde
Ne le laisse pas se perdre à la ronde

 

JE M'ENNUIE D'UN PAYS

Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas un pays
Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas
Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas aujourd'hui
Je m'ennuie d'un pays qui sera

Ainsi parlait un voyageur
Qui vint chez nous un soir de pluie
Il était tout vêtu de gris
Il n'était pas de mes amis
Tout ce qui m'est resté de lui
C'est ce refrain dont il m'a dit
C'est ma chanson la moins finie
Et j'y travaille jour et nuit
Qui êtes-vous? Où allez-vous?
Il répondait: Je suis la roue
Et ce n'est pas trop long la vie
Pour aller de chez moi chez vous

Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas loin d'ici
Je m'ennuie d'un pays qui n'est pas
Un pays qui frémit sous mon pas d'aujourd'hui
Je m'ennuie d'un pays qui sera

 

JEAN-DU-SUD

Quand Jean-du-Sud s'était mis dans la tête
D'aller chasser sur l'île d'Anticosti
Le swell dans le large annonçait une tempête
Mais Jean-du-Sud était déjà parti
Appareille mets deux ris dans la voile
On marchera sur les étoiles de mer

Quand Jean-du-Sud est venu mouiller dans le large
Tout le monde savait qu'il n'avait pas de poisson
Qui pouvait faire autant caler sa barge
Les femmes disaient qu'il avait de la boisson
Dans la baie y'a du rhum de la Jamaïque
Des gallons pis des barriques de vin

Quand Jean-du-Sud se mêlait de faire la pêche
Il s'en allait sur les bancs de mosquaro
Avait-il le goût de manger de la morue fraîche
Changeait toujours jusqu'au dernier carreau
La voile rouge s'en vient sur sa misaine
Est icitte pour une dizaine de jours

Quand Jean-du-Sud disait la mer est grande
Dans ses yeux bleus y'avait comme un matin
Parce qu'il faisait aussi la contrebande
Des illusions de paradis lointains
Capitaine méfie-toi des mirages
Des bateaux sur les nuages dans le ciel

Quand Jean-du-Sud nous contait ses voyages
On avait l'impression d'être ses matelots
II nous parlait en regardant les nuages
Qui dessinaient des îles nouvelles dans l'eau
Serre l'écoute sur les hauts-fonds ça casse
Faut dériver dans la passe du nord

Était tout seul à bord de son Mât d'hune
C'était comme ça qu'on appelait son voilier
Il n'était pas rendu l'autre bord de la dune
Pis on le pensait à l'Anse-aux-Madriers
Capitaine a la voile et aux cordages
Il était son équipage tout seul!

Quand Jean-du-Sud a trouvé sa tempête
On a trouvé son mât pis son beaupré
Hurlait le vent et braillaient les mouettes
Dans la petite anse où ce qu'il aimait s'ancrer
Jean-du-Sud drapé dans sa grande voile
Marche enfin sur les étoiles de mer

Paraît qu'il est redevenu capitaine
Sur une goélette qui se promène sur le fond de l'eau
La houle du Sud, c'est son manteau qui traîne
La brume de l'Est, la fumée de son brûlot
Jean-du-Sud a la voile et aux amarres
Désormais reste à la barre du jour

 

LA DANSE À SAINT-DILON

Samedi soir à Saint-Dilon
Y avait pas grande chose à faire
On a dit: "On fait une danse,
On va danser chez Bibi".
On s'est trouvé un violon
Un salon, des partenaires
Puis là la soirée commence,
C'était vers sept heures et demie

Entrez mesdames, entrez messieurs,
Marianne a sa belle robe et puis Rolande a ses yeux bleus.
Yvonne a mis ses souliers blancs, son décolleté puis ses beaux gants,
Ça aime à faire les choses en grand,
Ça vient d'arriver du couvent.
Y'a aussi Jean-Marie, mon cousin puis mon ami
Qu'a mis sa belle habit avec ses petits souliers vernis.
Le voilà mis comme on dit comme un commis-voyageur.

Quand on danse à Saint-Dilon
C'est pas pour des embrassades
C'est au réel puis ça va vite
Il faut pas passer des pas
Il faut bien suivre le violon
Si vous voulez pas être sage
Aussi bien partir tout de suite
Y a ni temps ni place pour ça

Tout le monde balance et puis tout le monde danse.
Jeanne danse avec Antoine et puis Jeannette avec Raymond.
Tit-Paul vient d'arriver avec Thérèse à ses côtés,
Ça va passer la soirée à faire semblant de s'amuser
Mais ça s'ennuie de Jean-Louis, son amour et son ami,
Qui est parti gagner sa vie, l'autre bord de l'Île Anticosti,
Est parti un beau samedi comme un maudit malfaiteur.

Ont dansé toute la soirée
Le Brandy puis la Plongeuse
Et le Corbeau dans la cage
Et puis nous voilà passé minuit
C'est Charlie qui a tout câllé
A perdu son amoureuse
Il s'est fait mettre en pacage
Par moins fin mais plus beau que lui

Un dernier tour, la chaîne des dames
Avant de partir, je m'a serré la main plus fort,
Je m'a regardé, j'ai perdu le pas.
Dimanche au soir, après les Vêpres,
J'irai-t-il bien j'irai-t'il pas?
Un petit salut, passez tout droit,
J'avais jamais viré comme ça!
Me voilà toute étourdie, mon amour et mon ami!
C'est ici qu'il s'est mis à la tourner comme une toupie.
Elle a compris puis elle a dit: Les mardi puis les jeudis,
Ça ferait-il ton bonheur?

Quand un petit gars de Saint-Dilon
Prend sa course après une fille
Il fa fait virer si vite
Qu'elle ne peut plus s'arrêter
Pour un petit air de violon
A vendrait toute sa famille
A penser que samedi en huit
Il peut peut-être la reinviter

Puis là ôte ta capine puis swing la mandoline
Et puis ôte ton jupon puis swing la Madelon.
Swing-la fort et puis tords-y le corps
Puis fais-y voir que t'es pas mort!

Domino ! Les femmes ont chaud !

 

QUAND VOUS MOURREZ DE NOS AMOURS

Quand vous mourrez de nos amours
J'irai planter dans le jardin
Fleur à fleurir de beau matin
Moitié métal moitié papier
Pour me blesser un peu le pied
Mourez de mort très douce
Qu'une fleur pousse

Quand vous mourrez de nos amours
J'en ferai sur l'air de ce temps
Chanson chanteuse pour sept ans
Vous l'entendrez, vous l'apprendrez
Et vos lèvres m'en sauront gré
Mourez de mort très lasse
Que je la fasse

Quand vous mourrez de nos amours
J'en ferai deux livres si beaux
Qu'ils vous serviront de tombeaux
Et m'y coucherai à mon tour
Car je mourrai le même jour
Mourez de mort très tendre
À les attendre

Quand vous mourrez de nos amours
J'irai me pendre avec la clef
Au crochet des bonheurs bâclés
Et les chemins par nous conquis
Nul ne saura jamais par qui
Mourez de mort exquise
Que je les dise

Quand vous mourrez de nos amours
Si trop peu vous reste de moi
Ne me demandez pas pourquoi
Dans les mensonges qui suivraient
Nous ne serions ni beaux ni vrais
Mourez de mort très vive
Que je vous suive

 

SI LES BATEAUX

Si les bateaux que nous avons bâtis
Prennent la mer avant que je revienne
Cargue ta voile, aussi la mienne
Fais comme si... fais comme si
Nous en étions toujours les capitaines
Nous en étions toujours les capitaines

Profond comme au large de l'île
Doux comme une aile d'istorlet
Loin comme l'Angleterre
Je t'aimerai
Je t'aimerai

Si les trésors dont nous avions la clé
Le plan la carte et la belle aventure
N'étaient que rêve et qu'imposture
Évoque-les... évoque-les
Par des drapeaux de plus dans les mâtures
Par des drapeaux de plus dans les mâtures

Profond comme au large de l'île
Doux comme une aile d'istorlet
Loin comme l'Angleterre
Je t'aimerai
Je t'aimerai

Si je me fais facteur ou jardinier
Ne me viens plus parler de contrebande
Mais si tu veux que je me pende
Au grand hunier... au grand hunier
Raconte-moi que tu as vu l'Irlande
Raconte-moi que tu as vu l'Irlande

Profond comme au large de l'île
Doux comme une aile d'istorlet
Loin comme l'Angleterre
Je t'aimerai
Je t'aimerai

 

JE VIENS D'ÉCRIRE UNE LETTRE

Je viens d'écrire une lettre
Adressée à moi
Prends-la
Pour me la remettre
Tu voyageras
Mon enfant mon frère
Pour me la remettre
Tu voyageras

Je suis resté à ma porte
Au bout de mes premiers pas
La frontière est morte
Tu voyageras
Mon enfant mon frère
La frontière est morte
Tu voyageras

Sur de grands bateaux sans voiles
Je te vois monter déjà
Entre les étoiles
Tu voyageras
Mon enfant mon frère
Entre les étoiles
Tu voyageras

A travers ta descendance
Ma lettre me parviendra
Des siècles d'avance
Tu voyageras
Mon enfant mon frère
Des siècles d'avance
Tu voyageras

J'ai reçu de mon ancêtre
Les quelques mots que voilà
Prends pour te connaître
Le temps qu'il faudra
Mon enfant mon frère
Rien qu'à te connaître
Tu voyageras

J'ai appris par l'hirondelle
Que tes printemps seront là
Donne des nouvelles
Tu voyageras
Mon enfant mon père
Donne des nouvelles
On te répondra

 

LE DOUX CHAGRIN

J'ai fait de la peine à ma mie
Elle qui ne m'en a point fait
Qu'il est difficile...

Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile

Elle qui ne m'en a point fait
Et moi qui tant en méritais
Qu'il est difficile...

Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile

Et moi qui tant en méritais
Je sais ma mie, vous m'en ferez
Qu'il est difficile...

Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile

Je sais ma mie vous m'en ferez
Car depuis long de temps je sais
Qu'il est difficile...

Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile

Car depuis long de temps je sais
Que sans peine il n'est point d'aimer
Qu'il est difficile...

Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile

Que sans peine il n'est point d'aimer
Et sans amour, pourquoi chanter
Qu'il est difficile...

Qu'il est difficile d'aimer
Qu'il est difficile

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