RÊVE D'ARTISTE

Parfois j'ai le désir d'une soeur bonne et tendre, 
D'une soeur angélique au sourire discret : 
Soeur qui m'enseignera doucement le secret 
De prier comme il faut, d'espérer et d'attendre. 

J'ai ce désir très pur d'une soeur éternelle, 
D'une soeur d'amitié dans le règne de l'Art, 
Qui me saura veillant à ma lampe très tard 
Et qui me couvrira des cieux de sa prunelle ; 

Qui me prendra les mains quelquefois dans les siennes 
Et me chuchotera d'immaculés conseils, 
Avec le charme ailé des voix musiciennes ; 

Et pour qui je ferai, si j'aborde à la gloire, 
Fleurir tout un jardin de lys et de soleils 
Dans l'azur d'un poème offert à sa mémoire


CAPRICE BLANC 

L'hiver, de son pinceau givré, barbouille aux vitres 
Des pastels de jardins de roses en glaçons. 
Le froid pique de vif et relègue aux maisons 
Milady, canaris et les jockos bélîtres. 

Mais la petite Miss en berline s'en va, 
Dans son vitchoura blanc, une ombre de fourrures, 
Bravant l'intempérie et les âcres froidures, 
Et plus d'un, à la voir cheminer, la rêva. 

Ses deux chevaux sont blancs et sa voiture aussi, 
Menés de front par un cockney, flegme sur siège. 
Leurs sabots font des trous ronds et creux dans la neige ; 
Tout le ciel s'enfarine en un soir obscurci. 

Elle a passé, tournant sa prunelle câline 
Vers moi. Pour compléter alors l'immaculé 
De ce décor en blanc, bouquet dissimulé, 
Je lui jetai mon coeur au fond de sa berline. 


PLACET 

Reine, acquiescez-vous qu'une boucle déferle 
Des lames des cheveux aux lames du ciseau, 
Pour que j'y puisse humer un peu de chant d'oiseau, 
Un peu de soir d'amour né de vos yeux de perle ? 

Au bosquet de mon coeur, en des trilles de merle, 
Votre âme a fait chanter sa flûte du roseau. 
Reine, acquiescez-vous qu'une boucle déferle 
Des lames des cheveux aux lames du ciseau ? 

Fleur soyeuse aux parfums de rose, lis ou berle, 
Je vous la remettrai, secrète comme un sceau, 
Fût-ce en Éden, au jour que nous prendrons vaisseau 
Sur la mer idéale où l'ouragan se ferle. 

Reine, acquiescez-vous qu'une boucle déferle ? 


LE ROBIN DES BOIS 

Pendant que nous lisions Werther au fond des bois, 
Hier s'en vint chanter un robin dans les branches ; 
Et j'ai saisi vos mains, j'ai saisi vos mains blanches, 
Et je vous ai parlé d'amour comme autrefois. 

Mais vous êtes restée insensible à ma voix, 
Muette au jeune aveu des affections franches ; 
Quand soudain, vous levant, courant dans les pervenches, 
Émue, et m'appelant, vous m'avez crié : « Vois ! » 

Voici qu'était tombé du frissonnant feuillage 
L'oiseau sentimental, frappé dans son jeune âge, 
Et qui mourait sitôt, pauvre ami du printemps. 

Et vous le pleuriez, regrettant sa romance, 
Pendant que je songeais, fixant l'azur immense : 
Le Robin et l'Amour sont morts en même temps ! 



LE MAI D'AMOUR 

Voici que verdit le printemps 
Où l'heure au coeur sonne vingt ans, 
Larivarite et la la ri ; 
Voici que j'ai touché l'époque 
Où l'on est las d'habits en loque, 
Au gentil sieur il faudra ça 
Ça 
La la ri 
Jeunes filles de bel humour, 
Donnez-nous le mai de l'amour, 
Larivarite et la la ri. 

Soyez blonde ou brune ou châtaine, 
Ayez les yeux couleur lointaine 
Larivarite et la la ri 
Des astres bleus, des perles roses, 
Mais surtout, pas de voix moroses, 
Belles de liesse, il faudra ça 
Ça 
La la ri 
Il faudra battre un coeur de joie 
Tout plein de gaité qui rougeoie, 
Larivarite et la la ri. 

Moi, j'ai rêvé de celle-là 
Au coeur triste dans le gala, 
Larivarite et la la ri, 
Comme l'oiseau d'automne au bois 
Ou le rythme du vieux hautbois, 
Un coeur triste, il me faudra ça 
Ça 
La la ri 
Triste comme une main d'adieu 
Et pur comme les yeux de Dieu, 
Larivarite et la la ri. 

Voici que vient l'amour de mai, 
Vivez-le vite, le coeur gai, 
Larivarite et la la ri ; 
Ils tombent tôt les jours méchants, 
Vous cesserez aussi vos chants ; 
Dans le cercueil il faudra ça 
Ça 
La la ri 
Belles de vingt ans au coeur d'or, 
L'amour, sachez-le, tôt s'endort, 
Larivarite et la la ri. 


LA BELLE MORTE 

Ah ! la belle morte, elle repose... 
En Éden blanc un ange la pose. 

Elle sommeille emmi les pervenches, 
Comme en une chapelle aux dimanches. 

Ses cheveux sont couleur de la cendre, 
Son cercueil, on vient de le descendre. 

Et ses beaux yeux verts que la mort fausse 
Feront un clair de lune en sa fosse. 


THÈME SENTIMENTAL 

Je t'ai vue un soir me sourire 
Dans la planète des Bergers ; 
Tu descendais à pas légers 
Du seuil d'un château de porphyre. 

Et ton oeil de diamant rare 
Éblouissant le règne astral. 
Femme, depuis, par mont ou val, 
Femme, beau marbre de Carrare, 

Ta voix me hante en sons chargés 
De mystère et fait mon martyre, 
Car toujours je te vois sourire 
Dans la planète des Bergers. 


AMOUR IMMACULÉ 

Je sais en une église un vitrail merveilleux 
Où quelque artiste illustre, inspiré des archanges, 
A peint d'une façon mystique, en robe à franges, 
Le front nimbé d'un astre, une Sainte aux yeux bleus. 

Le soir, l'esprit hanté de rêves nébuleux 
Et du céleste écho de récitals étranges, 
Je m'en viens la prier sous les lueurs oranges 
De la lune qui luit entre ses blonds cheveux. 

Telle sur le vitrail de mon coeur je t'ai peinte, 
Ma romanesque aimée, ô pâle et blonde sainte, 
Toi, la seule que j'aime et toujours aimerai ; 

Mais tu restes muette, impassible, et, trop fière, 
Tu te plais à me voir, sombre et désespéré, 
Errer dans mon amour comme en un cimetière ! 



LE MISSEL DE LA MORTE 

Ce missel d'ivoire 
Que tu m'as donné, 
C'est au lys fané 
Qu'est sa page noire. 

Ô legs émané 
De pure mémoire, 
Quand tu m'as donné 
Ce missel d'ivoire ! 

Tout l'antan de gloire 
En lui, suranné, 
Survit interné. 
Quel lacrymatoire, 

Ce missel d'ivoire ! 



CHÂTEAUX EN ESPAGNE 

Je rêve de marcher comme un conquistador, 
Haussant mon labarum triomphal de victoire, 
Plein de fierté farouche et de valeur notoire, 
Vers des assauts de ville aux tours de bronze et d'or. 

Comme un royal oiseau, vautour, aigle ou condor, 
Je rêve de planer au divin territoire, 
De brûler au soleil mes deux ailes de gloire 
À vouloir dérober le céleste Trésor. 

Je ne suis hospodar, ni grand oiseau de proie ; 
À peine si je puis dans mon coeur qui guerroie 
Soutenir le combat des vieux Anges impurs ; 

Et mes rêves altiers fondent comme des cierges 
Devant cette Ilion éternelle aux cent murs, 
La ville de l'Amour imprenable des Vierges ! 



CHAPELLE DE LA MORTE 

La chapelle ancienne est fermée, 
Et je refoule à pas discrets 
Les dalles sonnant les regrets 
De toute une ère parfumée. 

Et je t'évoque, ô bien-aimée ! 
Épris de mystiques attraits : 
La chapelle assume les traits 
De ton âme qu'elle a humée. 

Ton corps fleurit dans l'autel seul, 
Et la nef triste est le linceul 
De gloire qui te vêt entière ; 

Et dans le vitrail, tes grands yeux 
M'illuminent ce cimetière 
De doux cierges mystérieux. 



BEAUTÉ CRUELLE 

Certes, il ne faut avoir qu'un amour en ce monde, 
Un amour, rien qu'un seul, tout fantasque soit-il ; 
Et moi qui le recherche ainsi, noble et subtil, 
Voici qu'il m'est à l'âme une entaille profonde. 

Elle est hautaine et belle, et moi timide et laid : 
Je ne puis l'approcher qu'en des vapeurs de rêve. 
Malheureux ! Plus je vais, et plus elle s'élève 
Et dédaigne mon coeur pour un oeil qui lui plaît. 

Voyez comme, pourtant, notre sort est étrange ! 
Si nous eussions tous deux fait de figure échange, 
Comme elle m'eût aimé d'un amour sans pareil ! 

Et je l'eusse suivie en vrai fou de Tolède, 
Aux pays de la brume, aux landes du soleil, 
Si le Ciel m'eût fait beau, et qu'il l'eût faite laide !