NOTES BIOGRAPHIQUES
Émile Nelligan, écrivain remarquable du tournant du siècle, est le poète
le plus aimé et le plus admiré du Canada français. Figure romantique à la
carrière littéraire tragiquement écourtée, c'est lui qui a fait passer la poésie
canadienne-française dans l'ère moderne.
1. L'enfance: 1879-1885
Naissance d'Émile Nelligan à Montréal, (Québec) , le 24 décembre 1879,
au 602, rue Lagauchetière. Il est le premier enfant de David Nelligan, un
immigrant irlandais peu sensible à la langue ou à la culture
canadienne-française. Son travail d'inspecteur des Postes l'éloignait
fréquemment de la maison. Sa mère Émilie Amanda Hudon, est une pianiste
canadienne-française, fière de sa culture et de son patrimoine, et dévote
catholique. Sauf pour des vacances d'été avec sa famille dans le village de
Cacouna, dans le Bas-Saint-Laurent, et un court voyage en Europe, Nelligan a
passé toute sa vie à Montréal. Il aura deux sœurs: Béatrice Éva, née le 28
octobre 1881 et Gertrude Fréda, née le 23 août 1883.
2. Les études: 1886-1897
En août 1886, Émile entre à l'école Olier après avoir fréquenté pendant
un an l'académie de l'archevêché.
En septembre 1890, il est externe au Mont Saint-Louis, et trois ans
après il passe au Collège de Montréal.
Il est à l'écart de toute institution scolaire à l'automne et à l'hiver
de 1895, n'entrant au Collège Sainte-Marie qu'en mars 1896. Le 8 mars
précisément, il rédige un devoir dont la copie sera bien plus tard imprimée:
C'était l'automne... et les feuilles tombaient toujours.
Mauvais élève, (il doit reprendre ses éléments latins et sa syntaxe) il
ne s'intéresse qu'à la poésie. Il quitte définitivement l'école en 1897, au
grand mécontentement de ses parents.
3. La découverte de la poésie: 1895-1897
Nelligan ne rêve que de poésie, au grand désespoir de son père. Il
s'intéresse aux romantique: Millevoye, Lamartine, Musset... Très tôt, il
découvre Verlaine, Baudelaire, Rodenbach, Heredia, Leconte de Lisle.
Signé du pseudonyme Émile Kovar, son premier poème, Rêve fantasque,
paraît dans Le Samedi du 13 juin 1896. Sous le même pseudonyme, il publiera de
la même façon huit autres poèmes en l'espace de trois mois. Cinq sonnets, signés
Émil Nellighan, paraîtront en 1897 dans Le Monde illustré.
4. À l'École littéraire de Montréal: 1897-1898
Le 10 février 1897, après avoir soumis au comité d'admission deux
poèmes: Berceuse et Le Voyageur, Émile Nelligan est élu membre de l'École
littéraire de Montréal, fondée en 1895 par Louvigny de Montigny et Jean
Charbonneau. Émile est le cadet du groupe.
Le 25 février, il assiste pour la première fois de l'École; il récite
Tristia, Sonnet d'une villageoise et Carl Vondher est mourant. En mars, il lira
d'autres poèmes, Aubade rouge, Sonnet hivernal, Harem céleste. Deux poèmes
manuscrits datent de cette époque: Vasque, dédié à sa très chère amie Édith
Larrivée, et Salons allemands, sonnet offert à son ami, Louis-Joseph Béliveau,
poète-libraire, à l'occasion de ses noces (septembre 1897).
5. Le rêveur solitaire: 1898-1899
Dépressif, replié sur lui-même, tantôt refermé dans sa petite chambre à
l'étage du 260 de l'avenue Laval, tantôt en promenade au centre de la ville,
Nelligan se plaît à fréquenter les marchées Bonsecours et Jacques-Cartier,
s'arrête à l'occasion dans une église.
On connaît peu de femmes dans son entourage (Édith Larrivée, Idola
Saint-Jean ou Robertine Barry). Il aurait, dit-on, vécu une idylle champêtre
avec une Suissesse allemande à l'automne de 1895, mais on n'en connaît pas
grand-chose; le même mystère entoure une certaine Gretchen à partir de 1897.
La femme chez Nelligan, tantôt réelle, tantôt fictive (artiste,
apparition, allusion mythique, négresse lointaine), est bellement ancrée dans
l'imaginaire. Et par-dessus tout le monde des rêveries amoureuses reflété dans
ses poèmes, le portrait de sa mère et celui de Sainte-Cécile projettent sa
hantise d'aimer.
6. Le créateur fulgurant: 1898-1899
Le 9 décembre 1898, Nelligan est réadmis à l'École littéraire de
Montréal qui prépare une série de séances publiques. La première rencontre avec
le public, sous la présidence de Louis Fréchette, a lieu au château de Ramezay,
le 29 décembre 1898. Nelligan récite trois de ses poèmes: Rêve de Watteau, Le
Récital des anges et L'Idiote aux cloches.
À la deuxième séance qui se tient au Monument national le 24 février
1899, Nelligan déclame Le Perroquet, Bohème blanche, Les Carmélites, Nocturne
séraphique, Le Roi du souper et Notre-Dame-Des-Neiges.
À la troisième séance, de nouveau au château de Ramezay, le 7 avril
1899, Nelligan fait connaître à l'assistance Prière vespérale, Petit vitrail ,
Amour immaculé, La Passante
Le 26 mai 1899, Nelligan interprète Le Talisman, Rêve d'artiste, Le
Robin des bois, et la poésie atteint son apogée lorsqu'il clame, voix passionnée
et oeil flambant, sa Romance du Vin. C'est son heure de gloire, mais aussi son
chant du cygne. Déjà le poète délirant s'engage vers la poésie spectrale,
sombrement hallucinatoire, influencée par les lectures de Rollinat, de Musset,
de Poe. Le long poème Le Suicide d'Angel Valdor en offre un exemple.
Le printemps et l'été 1899 voient naître Je veux m’éluder dans les
rires, Déraison, Le Tombeau de Charles Baudelaire, Le Vaisseau d'or. Le signe
avant-coureur du naufrage est là. À la demande de son père, le 9 août 1899,
Nelligan est conduit à Longue-Pointe et interné à l'asile
Saint-Benoît-Joseph-Labre. Les docteurs Brenmann et Chagnon diagnostiquent:
Dégénérescence mentale. Folie plymorphe. Nelligan souffre de démence précoce,
une forme de schizophrénie incurable.
7. La révélation d'une oeuvre: 1900-1904
Émile Nelligan avait rêvé de créer une OEUVRE. En septembre 1897, il
songeait déjà à un titre, Pauvre enfance. Par la suite, en 1898 et 1899, il
propose d'autres plans, encore incomplets: Le Récital des Anges puis Motifs du
Récital des Anges. À l'heure de son internement, seulement 23 de ses poèmes ont
été publiés dans des périodiques montréalais. Maintenant, dans les Soirées du
château de Ramezay, volume collectif de l'École littéraire de Montréal publié en
1900, figurent 17 poèmes de Nelligan.
Cette même année, Louis Dantin inclut cinq poèmes dans Franges d'Autel,
recueil de poésies religieuses déjà partiellement publiées dans Le Petit
messager du Très-Saint-Sacrement.
L' oeuvre d'Émile Nelligan compte quelque 170 poèmes, sonnets, rondeaux,
chansons et poèmes en prose. Ce qui est étonnant, c'est qu'il a écrit tout cela
entre les âges de seize et dix-neuf ans. Il avait publié seulement vingt-trois
poèmes avant son internement, mais, en 1904, grâce à la diligence de son ami
Louis Dantin et à l'aide de sa mère, 107 poèmes ont été publiés dans Émile
Nelligan et son oeuvre, avec une préface de Dantin. Trois autres éditions ont
été publiées en 1925, 1932 et 1945.
8. L'homme brisé: 1899-1941
Nelligan passe plus de 42 ans interné à l'asile; d'abord, et pour un
quart de siècle, du 9 août 1899 au 20 octobre 1925, à l'asile Saint - Benoît -
Joseph - Labre; ensuite à l'hôpital psychiatrique Saint - Jean - de - Dieu, du
23 octobre 1925 au 18 novembre 1941, jour de sa mort.
À Saint-Jean-de-Dieu, le poète est assez fréquemment sollicité du côté
de la poésie par les visiteurs, les infirmières, les médecins. Au fil des
années, il est ainsi amené à tenter de reconstituer tant bien que mal une
trentaine de ses anciens poèmes et à les transcrire dans des carnets de fortune
ou sur des feuilles volantes. Cette écriture d'asile est faite d'approximations
du passé, fruits d'un esprit affaibli et d'une mémoire défaillante.
9. Le poète et son mythe: 1941-1992.
La mort de Nelligan, le 18 novembre 1941, marque en fait son
commencement. Son oeuvre inachevée va plus que jamais attirer et fasciner le
public. On publie ses recueils et des éditions de toutes sortes: de luxe,
critiques, illustrées, anthologiques, scolaires... sans oublier la traduction
anglaise de Fred Cogswell, parue en 1983.
En 1952, Luc Lacoursière a publié une édition complète des poèmes de
Nelligan intitulée Poésies complètes : 1869-1899, contenant les 107 poèmes
rassemblés par Dantin et d'autres poèmes, écrits par Nelligan avant son
hospitalisation, qui avaient été envoyés à des amis ou retrouvés parmi ses
papiers. Cette édition a été réimprimée plusieurs fois, la dernière en 1989.
Émile Nelligan était un pionnier de la littérature canadienne-française.
Dans sa poésie, il a abandonné les sujets éculés de patriotisme et de fidélité
au pays, qui avaient occupé ses prédécesseurs littéraires, pour explorer les
dimensions symboliques de la langue et sa sombre vision intérieure personnelle.
Même si ses écrits ont été influencés par des poètes symbolistes tels Charles
Baudelaire et Arthur Rimbaud, et par des écrivains de langue anglaise tels Lord
Byron et Edgar Allan Poe, Nelligan s'est doté d'une sensibilité poétique unique.
Il a ainsi gagné l'appréciation du Canada français, qui persiste de nos jours
puisque son oeuvre continue d'être appréciée. Ses poèmes ont été traduits en
anglais et il a été le sujet de plusieurs colloques, films, romans, poèmes, et
même d'un ballet et d'un opéra. Cent ans après la création de son dernier poème,
la vision poétique d'Émile Nelligan survit toujours.
On consacre à Nelligan des thèses de doctorat et de maîtrise.
Quelques rappels bibliographiques:
Michel Tremblay, Nelligan, Leméac, Montréal, 1990, 90 p.
En 1991, paraît, un ouvrage monumental : Œuvres complètes (2 volumes),
édition critique établie par Réjean Robidoux et Paul Wyczynski (vol I : Poésies
complètes 1896-1941) et par Jacques Michon (vol. II : Poèmes et textes d’asile
1900-1941), Fides, Montréal, 646 p. et 615 p.
La même année, Gérald Godin publie Nelligan revisité, l’Hexagone,
Montréal, 57 p.
En 1992, Réjean Robidoux fait paraître Connaissance de Nelligan,
Montréal, Fides, 186 p.
Pendant plusieurs mois, en 1995, on avait pu lire, placardé dans les
stations du métro parisien et dans les autobus de la RATP, son célèbre poème
«Soir d'hiver.»
En 1996, André Vanasse publie chez XYZ une biographie romancée d’Émile
Nelligan intitulée Le spasme de vivre, 138 p.
Émile Nelligan et son œuvre, par Émile Nelligan, édition critique par
Réjean Robidoux, « Bibliothèque du Nouveau Monde », Les presses de l’Université
de Montréal, Montréal, 1997, 293 p . Franges d’autel, réédition en fac-similé,
présentation par Réjean Robidoux, « Cahiers du Québec/Documents littéraires »,
HMH, 1997, 126 p.
Poèmes choisis / Le récital de l’ange, par Émile Nelligan, choix et
présentation par Jocelyne Felx, «Ovale», Noroît, Saint-Hippolyte, 1997, 102 p..
Une étude des Poésies d’Émile Nelligan, par Réjean Beaudoin, « Les
classiques québécois expliqués », Boréal, Montréal, 1997, 110 p.
Le vaisseau d’or et autres poèmes, par Émile Nelligan, textes
explicatifs et appareil pédagogique par Luc Bouvier, « Grands textes de la
littérature québécoise », CEC, Anjou, 1997, 224 p.
Traductions :
Émile Nelligan, El Recital de los Angeles/Le récital des anges, édition
bilingue, choix et présentation par Claude Beausoleil, traduction en espagnol
par Marco Antonio Campos, El Tucan de Virginia, Mexico, 1989, 68 p.
Émile Nelligan, Il recital degli Angeli, édition bilingue, choix et
présentation par Claude Beausoleil, traduction en italien par Lucia Bonato,
Buizoni, Rome, 1994, 163 p.
En 1998, en France, paraît Poésies complètes, « La petite Vermillon »,
La Table ronde, Paris, 235
Nelligan dans tous ses états, Un mythe national, par Pascal Brissette, «
Nouvelles études québécoises », Fides, Montréal, 1998, 225 p.
Émile Nelligan, O Recital dos Anjos, choix et présentation par Claude
Beausoleil, traduction en portugais par Miguel Mascarenhas, Tertulia, Sintra,
1998, 90 p.
En 1999, la Bibliothèque québécoise édite au format de poche, Émile
Nelligan, Biographie, de Paul Wyczynski, 345 p.
Actualité de Nelligan :
Diverses éditions de l’œuvre poétique d’ Émile Nelligan sont offertes en
édition de poche chez Triptyque, chez Boréal, dans la Bibliothèque Québécoise et
sous l’étiquette Typo.
Était inauguré l’automne dernier, à la Maison des écrivains de la rue
Laval à Montréal, à deux pas de la maison où Nelligan a écrit la plupart de ses
poèmes, le « Salon Émile Nelligan » où se tiendront diverses manifestations à
caractère littéraire.
En 1999, l’œuvre de Nelligan continue de fasciner autant lecteurs et
spécialistes. On peut constater que l’auteur du «Vaisseau d’or» vogue sur
plusieurs sites Internet tout en générant des discours savants qui ne cessent de
se multiplier.